Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/973

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui avait perdu une jambe et gagné la croix à Lutzen, un membre enfin de cette chevalerie populaire qui fut la vraie noblesse de l’empire. Cette lettre était simple, touchante, énergique ; elle respirait l’honneur de l’homme de poudre et de l’homme des champs. « On ne voudra pas, disait ce vieux brave, m’ôter la joie de mon ruban ; on ne voudra pas me déshonorer mon nom que savait l’empereur. » Le conseil fat ému, et le chasseur fut acquitté.

Certes, l’auditoire le plus démocratique eût applaudi à cet acquittement, et cependant le conseil de guerre obéissait à la loi qui est l’origine de toutes les aristocraties. Il reconnaissait cette force sacrée, cette vertu souveraine de la famille, sans laquelle, suivant moi, il n’y a pas de société. On ne saurait trop introduire dans la cité d’autre élément que la matière ; on ne saurait trop, dans toutes les institutions humaines, imiter Dieu, c’est-à-dire mettre une vie d’une nature spirituelle, d’un ordre supérieur, sous la vie brutale du fait. La famille est dans la société un élément immatériel. Cet homme qui aimait tant son enfant est mort : dans la cité visible, ce n’est plus qu’un cadavre sous une pierre ; mais, dans la cathédrale, c’est encore un être vivant. si la famille est.respectée ; c’est encore un être protecteur pour ce qu’il aimait, pour ce qu’il aime toujours dans le pays où la volonté de Dieu l’a envoyé. Je ne sais rien qui me touche plus qu’un homme servant dans le tombeau ceux qu’il a laissés dans ce monde par l’honneur dont il a entouré son nom. Je ne sais pas une pensée plus capable de nous faire sortir à notre gloire des épreuves qui nous sont imposées quelquefois par la vie sociale que celle-ci : Quelqu’un profitera de mes souffrances, et n’invoquera pas en vain mon souvenir.

Cette expression « la foi de mes pères » m’a toujours touché, et quand je ne tiendrais pas à la religion catholique par d’autre lien que le baiser donné par mon père mourant au crucifix, ce serait pour moi un lien que rien ne saurait briser. Il y a un monde où je sens de la douceur, du bien-être, cette bienfaisante et mystérieuse chaleur de l’espérance et de l’amour ; il y a un monde où j’ai froid : ce monde où le froid me saisit, c’est celui où l’on n’offre pour nourriture à mon ame que des idées de philosophes, où, au lieu du Père qui est aux cieux, qui nous délivre du mal et nous donne notre pain de chaque jour, on veut me faire adorer le dieu de Jean-Jacques, un dieu qui dédaigne ma prière, ne s’associe pas à mes combats, ne sait pas mes douleurs, un dieu qui voit l’ordre universel et ne me voit pas. Le philosophe qui inventa ce dieu devait être un mauvais père. La Providence a voulu qu’il portât dans la postérité ce stigmate de s’être fait un inconnu pour ses enfans, afin de montrer le néant de sa doctrine, afin d’aliéner aux mensonges pompeux de ses enseignemens cette droite et décidée intelligence que les humbles ont dans le cœur. Eh