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bien ! voyez ce fatal enchaînement de toutes choses : la société, qui, au lieu du Dieu de notre religion, veut un être suprême, est comme Jean-Jacques ; elle repousse la famille, elle remplace le foyer domestique par l’hospice, car ses gymnases ne seront jamais que des hospices. Les enfans qui ne doivent connaître ni les joies ni les vertus de la famille naissent plus malheureux que les muets, les paralytiques, les aveugles ; ils sont déshérités de biens plus précieux que la parole, le mouvement et le jour.

Plenho se tut, et pendant quelque temps le silence régna entre les trois Français. Chacun se rappelait ces souvenirs du foyer que notre cœur nous tient en réserve comme des mélodies secrètes qui, à certaines heures, nous apportent parfois la gaieté, bien plus souvent la tristesse, mais nous arrachent toujours aux ingrates misères de cette vie. Les trois hommes qui contemplaient ce ciel étincelant de l’Afrique voyaient sans doute dans leur mémoire un ciel moins éclatant, mais plus doux, le ciel sous lequel, le soir, nous descendions au jardin pour jouer quand nous étions enfans, pour rêver et pleurer peut-être à l’âge où luit sur nos pensées le regard si inquiet et si doux, si gai et si songeur de la jeunesse.

Le docteur, qui, en définitive, n’était pas accoutumé à errer long-temps dans les sentiers de la rêverie, fut le premier qui rompit le silence. Donnant à son regard une expression qui voulait être éminemment fine et légèrement moqueuse, il apostropha ainsi le capitaine :

— Puisque vous aimez tant la famille, mon cher Plenho, vous devez avoir un respect profond pour le mariage, et ce sentiment-là a dû vous causer de terribles embarras dans votre vie de garçon. Vous devez considérer l’adultère comme le plus impardonnable des crimes. Il a donc fallu que vous ayez toujours une existence bien dure ou une conscience bien tourmentée.

— Docteur, répondit le capitaine, vous recourez à une espèce d’argument qui devrait être toujours banni de la discussion : vous prenez ma personne à partie. Je pourrais clore le débat ; mais votre interpellation ne me gêne pas, et je suis au contraire content d’y répondre. Il y a un évangile sur lequel j’ai souvent médité : c’est celui de la femme adultère. Je le sais presque par cœur ; je l’aurais traité sur la toile, si j’étais peintre ; j’en aurais fait une ode, une épître ou une élégie, si j’étais poète. Voici le tableau que les saintes Écritures nous ont conservé. Jésus est assis et trace des caractères sur le sable ; une grande foule l’entoure. Tout à coup, amenant une pauvre.femme pour laquelle je me suis senti toujours pris, je l’avoue, d’une tendresse infinie, et dont il me semble que je reconnaîtrais dans l’autre vie le visage doux et confus, des docteurs lui disent que cette femme est adultère, et demandent l’exécution de l’abominable loi d’Israël. Jésus fait cette