Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/976

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre les côtes. Une de ces fièvres que le troupier emporte toujours comme un souvenir de l’Algérie s’était jointe à ma blessure. Je vous jure, docteur, que, si j’ai péché, j’ai expié ce jour-là bien des fautes. Je crois volontiers à l’utilité des souffrances pour notre salut. Si mes idées sur le duel et l’adultère sont coupables, j’espère que quelques escassés me les feront pardonner ; nos douleurs sont nos patenôtres. — Et Plenho se leva en entonnant ce refrain si connu :

Et allez donc, sonnez, trompettes !
Et allez donc, sonnez, clairons !

Bien des braves à ce refrain-là, ont fait joyeusement leur dernière étape.


IV. - TROISIEME SOIREE. — DE L’ESPRIT MILITAIRE.

Une des thèses favorites du docteur était la dégradation de l’étal militaire tel que l’a fait notre société. Il attendait avec impatience, disait-il souvent, le moment où il cesserait de vivre parmi les suppôts de tous les pouvoirs, car enfin,-s’écriait-il le soir même où il eut avec Plenho sa dernière conférence, votre système de soldats qui ne doivent point raisonner nous conduit à servir indifféremment le bien et le mal, le juste et l’injuste.

— L’armée, repartit Plenho, est comme l’église ; elle rend à César ce qui appartient à César. S’il en est ainsi, direz-vous, il n’y a pas de gouvernement monstrueux qu’elle ne puisse soutenir. Cela n’est pas, car il y a des momens où César, c’est-à-dire tout principe d’ordre et d’autorité, disparaît du monde. Dans ces momens, l’armée n’a plus de rôle politique ; elle cherche son mot de ralliement autre part que dans la loi capricieuse, éphémère et avilie qui gouverne la société. Ainsi, pendant la révolution, ce fut la patrie seule que défendit l’armée. Les hommes à bonnets rouges et à piques qui s’en allaient dans les prisons « recruter des ombres, » comme dit André Chénier, n’avaient rien de commun avec les braves qui enclouaient les canons ennemis uniforme a traversé sans tache cette période infâme ; j’en remercie Dieu, car, depuis que le froc a disparu, l’uniforme est le seul habit, suivant moi, sous lequel puisse battre un cœur où vivent encore de saints enthousiasmes et de nobles mépris.

Mon cher docteur, je ne vous ferai pas la confession de René à Chactas, quoiqu’en vérité ce ciel transparent, cette vaste et tranquille nature, tout ce spectacle enfin qui nous entoure et dont nous faisons nous-mêmes partie puisse porter à l’expansion une ame plus renfermée que la mienne ; mais depuis long-temps l’orgueil du siècle m’a gâté les confessions, et si jamais maintenant je laisse échapper de ma bouche les secrets d’une obscure et douloureuse vie, ce sera en ce moment