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déchus ; néanmoins ceux-ci doivent se résigner à une sorte d’égalité avec ceux-là, et ne pas exiger une immunité absolue, quand de royales infortunes sont obstinément poursuivies par l’insulte et la diffamation. Une susceptibilité naturelle et excusable a d’ailleurs fait illusion à M. Ledru-Rollin sur la gravité de ses griefs. La presse anglaise a toujours mis une extrême sévérité dans ses jugemens sur la conduite du parti révolutionnaire en France ; mais elle s’est très rarement occupée des hommes, qui n’intéressent plus le public auquel elle s’adresse. Il est incontestable que si l’arrivée de M. Louis Blanc a produit à Londres une certaine sensation, celle de M. Ledru-Rollin a été un fait inaperçu. Cette différence, dans l’accueil fait à deux hommes dont la situation offrait tant d’analogie s’explique tout naturellement par la différence des époques. M. Louis Blanc est arrivé à Londres quelques mois à peine après la révolution, lorsque les hommes de février étaient encore complètement inconnus en Angleterre, lorsqu’une ardente curiosité s’attachait à tous les acteurs de la catastrophe survenue en France. Un an plus tard, les discussions de la tribune et de la presse, de nombreuses publications avaient donné sur les antécédens, sur la conduite, sur la valeur intellectuelle et morale des membres du gouvernement provisoire et de leurs agens des détails si abondans, que toute curiosité était épuisée. M. Louis Blanc prenait la fuite le lendemain de la lutte la plus terrible dont l’histoire fasse mention, après une insurrection formidable, dont le triomphe lui eût donné la dictature. M. Ledru-Rollin s’est expatrié à la suite d’un tapage d’écoliers. Enfin le rôle joué par M. Ledru-Rollin dans les affaires de la France n’avait pour les Anglais ni le même intérêt ni la même nouveauté que celui de M. Louis Blanc : il n’était à leurs yeux que la répétition d’une parade cent fois représenté. C’est ce qu’un journal libéral anglais a expliqué d’une façon cruelle dans une courte et dédaigneuse réponse à la préface de M. Ledru-Rollin. L’apôtre du Luxembourg, entreprenant de changer avec quelques décrets les conditions économiques d’une société, détruisant au nom de la république la liberté du travail, la liberté du commerce, la liberté des transactions, entraîné par la logique de la démagogie à la suppression de la liberté individuelle et au communisme, était pour les Anglais un monomane d’une espèce nouvelle, un sophiste curieux à étudier, qui ne pouvait manquer d’affriander par l’étrangeté de ses doctrines et de sa fortune les esprits blasés de l’aristocratie britannique. Quant à M. Ledru-Rollin, nos voisins n’ont vu en lui que le tribun, le déclamateur aux périodes retentissantes, le harangueur de club, le révolutionnaire proférant sans cesse de monotones menaces, le chef d’émeute jeté en Angleterre par une échauffourée profondément ridicule, c’est-à-dire un type infiniment plus vulgaire et surtout beaucoup plus connu d’eux. Voici plusieurs années,