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dans ses principaux aspects, ce sera accorder au livre de la Décadence de l’Angleterre la seule réfutation qu’il mérite.

Dans un pamphlet socialiste sur l’Angleterre, on doit s’attendre à retrouver les distinctions en usage parmi les théoriciens de l’école. On apprendra donc sans étonnement que les destinées de l’Angleterre sont aux mains d’une aristocratie couverte de tous les crimes et composée de trois élémens, la royauté, la propriété territoriale, et la bourgeoisie « féodalisée et façonnée à l’instar de la noblesse. » En face de cette triple aristocratie se trouve le peuple « exténué et sans défense. » Il est à remarquer que c’est contre la bourgeoisie, contre l’aristocratie marchande, l’aristocratie de comptoir, que M. Ledru-Rollin lance le plus volontiers ses foudres ; mais il ne dit point où commence et où finit cette bourgeoisie si exécrable, et comment s’établit entre elle et le peuple la ligne de démarcation. Il eût été intéressant de savoir à quel moment et comment Arkwright, Watt et tous ces fondateurs de l’industrie anglaise, qui, dans les soixante dernières années, de simples artisans sont devenus millionnaires, ont cessé d’être peuple pour être des bourgeois féodalisés. M. Ledru-Rollin a eu tort de garder le silence à cet égard, lui qui paraît connaître l’histoire parallèle du peuple et de la bourgeoisie en Angleterre, et nous apprend, que Cromwell, qui pouvait choisir, se déclara pour la bourgeoisie contre le peuple. C’est là un fait nouveau, que les historiens n’avaient point aperçu jusqu’ici. Les corporations, les maîtrises, les jurandes, voilà les forteresses de l’aristocratie de comptoir, qui se trouve admirablement résumée dans les douze grandes compagnies de la Cité de Londres, « dont les revenus sont considérables, qui forment des associations d’une grande richesse, souveraines par là même dans les questions de salaire et de travail, et puissantes à ce point que le gouvernement recule devant elles et devant les privilèges séculaires de la Cité. »

Par malheur, le mot de corporation n’a point, en anglais, la même signification qu’en français, et sert presque uniquement à désigner les villes incorporées, c’est-à-dire les villes jouissant, comme les municipes romains et les anciennes communes de France, d’une administration municipale élective et complètement indépendante. Il se prend par opposition au mot paroisse, qui désigne les localités dont l’administration est soumise à un contrôle. Quant aux douze grandes compagnies de la Cité que M. Ledru-Rollin appelle des corporations, elles n’étaient pas douze et elles n’étaient pas ce qu’il croit. De même qu’en France pour l’élection des prud’hommes nous groupons les industries similaires, afin d’assurer à chaque catégorie une représentation équitable, de même autrefois à Londres on a réparti les quatre-vingt-neuf différens corps de métier ou compagnies en vingt-six sections, afin de faire participer toutes les industries à l’élection des magistrats et à l’administration