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Canadian-London est situé, nous l’avons dit, en plein Far-West, expression qui désigne les solitudes âpres et sauvages de l’ouest de l’Amérique. Il ne faudrait pourtant pas prendre ce mot dans une acception trop absolue, les voyageurs anglais étant un peu enclins à regarder comme désert un pays où les chemins de fer, les comfortables hôtels et les relais de poste n’existent pas encore. La colonisation marche dans le Haut-Canada plus vite qu’on ne pense ; si ses progrès paraissent lents, c’est qu’elle opère dans des régions d’une incroyable étendue, et dissémine ses forces sur une foule de points à la fois. Quand on s’éloigne des rives du Saint-Laurent, cultivées depuis deux siècles, le Haut-Canada parait triste ; on dirait la Germanie au temps de Varus. Les chemins, quand il y en a, sont généralement mauvais. Les plus simples consistent dans une double ligne de troncs d’arbres placés parallèlement ; les roues d’un chariot grossièrement construit et dénué de ressorts, — la violence des cahots ne permet pas de suspendre ces voitures autrement que sur l’essieu, — roulent tant bien que mal sur ce rail inégal et raboteux. Ailleurs, on a pratiqué des routes de bois, plank-roads, où des troncs de sapins, étendus à terre, et rapprochés les uns des autres le plus possible, forment un plancher continu ; malheureusement les pièces ne sont jamais jointes si solidement que les pieds des chevaux ne passent quelquefois dans les intervalles. Un chemin de ce genre, long de vingt lieues et taillé dans le milieu de la forêt, comme si on n’eût fait que coucher les troncs d’arbres côte à côte à mesure qu’ils tombaient, conduit de London à Goderich sur les bords du lac Huron. Qu’on se figure un corps de troupes anglaises cheminant sur une pareille voie avec armes et bagages. Dans tout le Haut-Canada, l’armée éprouve de grandes fatigues en voyageant. Souvent, après une longue étape, le soldat est réduit à dormir sur la dure, à l’abri d’un hangar, sans pouvoir obtenir un peu de paille pour appuyer sa tête. Les vivres mêmes sont difficiles à se procurer là où l’œil ne rencontre ni champs, ni vergers, ni rien qui ressemble à un village du royaume-uni. Les marches ne peuvent s’exécuter que pendant l’été ; sous le climat américain, toujours extrême, les mêmes pays où le froid se fait si cruellement sentir sont exposés à des chaleurs intolérables. Entre Toronto et London, il existe de grands espaces d’un terrain sablonneux qui deviennent, après de longues sécheresses, arides et brûlans comme les hautes terres du Texas. Celui qui les traverse à pied se sent accablé par le poids d’une atmosphère étouffante, et des tourbillons de poussière gênent sa respiration. De grands pins s’élèvent çà et là, étendant autour d’eux leurs gigantesques rameaux ; mais sous leur ombre ne pousse jamais l’herbe veloutée, la mousse épaisse qui repose le pied du passant.

Sur les routes les plus fréquentées du Haut-Canada, des auberges ont