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par l’effet de l’isolement, il les a apportées d’Europe avec lui. L’Irlandais qui débarque à Québec, l’Écossais qui prend terre à Halifax, ont également en germe, au fond de l’ame, les idées d’égalité ombrageuse qu’ils laissent si vite percer une fois que leur existence s’affermit sur le sol américain. Ces aspirations à l’indépendance, ne les trouve-t-on pas partout ? Elles sont dans l’air ; le vieux et le Nouveau-Monde se les renvoient à l’envi ; elles sont proprement le fruit de l’époque où nous vivons ; tout ce qui date de ces dernières années en est empreint. Si les Canadiens français conservent encore des manières franches, cordiales, hospitalières, c’est qu’ils sont sortis d’Europe il y a long-temps et qu’ils ont été peu mêlés aux mouvemens du dehors. Ils ont gardé de leur pays cette qualité, j’allais presque dire cette vertu traditionnelle qui s’efface trop de nos mœurs, la politesse. Le petit colon des bords du Saint-Laurent a encore la naïveté de se porter au-devant de l’étranger ; un voisin est pour lui un ami. Le colon anglo-saxon du Far-West, au contraire, affecte de paraître rogue et impoli. Priez-le de vous céder la moitié du chemin qu’il occupe carrément avec son wagon, il s’obstinera à marcher au beau milieu de la voie, tout exprès pour faire obstacle à votre cabriolet. Essayez de le dépasser, il va trotter côte à côte avec vous pendant une heure, jusqu’à ce que, de guerre lasse, vous lui cédiez le pas. Ne faites pas un geste d’impatience, car il lèvera son fouet, ou tout au moins vous proposera de boxer. Il est dans la forêt, dans une région où les convenances, les prévenances réciproques ne sont pas de mise ; il est chez lui.

Les idées de plus en plus démocratiques des citoyens de l’Union déteignent donc sur les habitans anglais de la contrée voisine. Dans le domaine de la politique, leur influence s’est manifestée visiblement ; elle gagne du terrain de jour en jour, et là même où la paix n’a jamais été sérieusement troublée, l’esprit d’opposition se montre agressif. Des scènes de violence, de petites émeutes signalent les élections municipales dans plus d’un village. L’américanisme prodigue ses conseils à ces électeurs nouveaux ; il cherche à les éblouir par ses prétentieuses velléités, et nargue l’Europe jusque sur le territoire où elle étend sa domination. À Brandford, non loin de Toronto, en plein pays anglais, des Américains célébrèrent, il y a quelques années, l’anniversaire de l’indépendance de leur pays par des décharges de mousqueterie, et même en tirant des coups de canon. Une mêlée s’ensuivit, dans laquelle la victoire resta aux loyaux sujets de la Grande-Bretagne ; mais enfin les radicaux avaient fait preuve d’audace. Récemment encore, n’a-t-on pas vu le drapeau de l’Union flotter en plein jour à Kingston, comme un augure menaçant ? À ces actes significatifs se joignent les efforts de la propagande, car autant les farmers du Far-West sont taciturnes, autant leurs voisins aiment à pérorer. Il y a parmi les démagogues