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Cette faveur ; la seule peut-être qu’Édelinck ait sollicitée, n’était pas la première qu’il dût à la protection de Louis XIV : avant d’être marguillier, il portait le titre de « premier dessinateur du cabinet ; » comme Lenôtre, il était chevalier de l’ordre de Saint-Michel, et l’académie de peinture l’avait admis au nombre de ses conseillers. Sa vieillesse fut calme, laborieuse, semblable au reste de sa vie, et lorsqu’il mourut, en 1707, ses deux frères, son fils Nicolas, qui tous trois avaient été ses élèves, héritèrent d’une fortune aussi sagement ménagée qu’honorablement acquise.

Édelinck survécut aux principaux graveurs du siècle de Louis XIV. Poilly, Masson, Roullet, avaient suivi d’assez près Nanteuil dans la tombe ; déjà, dans cet établissement des Gobelins, que nous avons vu si riche en talens de premier ordre, les élèves succédaient aux maîtres, les artistes habiles aux artistes inspirés ; Van Schuppen y remplaçait Nanteuil, comme Mignard y avait remplacé Lebrun, par nécessité plutôt que par droit d’héritage ; enfin le plus éminent des graveurs de l’époque, Gérard Audran, dont nous n’avons rien dit encore de peur d’introduire quelque confusion dans l’exposé des faits, Gérard Audran était mort dès 1703, et ses neveux, portant avec honneur le nom qu’il avait illustré, ne pouvaient cependant en soutenir toute la gloire[1].

On n’oserait dire qu’Audran fut un graveur de génie, parce qu’il ne semble pas permis d’appliquer ce mot à un homme dont le rôle était de se conformer toujours à un modèle ; pourtant, comment qualifier ce talent plein de souffle, cette grandeur de style et cette exécution sans égale ? Lorsqu’on examine les estampes du maître, n’y reconnaît-on rien qu’une science et une habileté prodigieuses ? N’y sent-on pas aussi un mérite plus secret, quelque chose de pénétrant et d’animé qui les élève au rang des œuvres de l’imagination ? Il ne leur manque peut-être que d’avoir été faites d’après des originaux d’une beauté plus saisissante. Encore ceux-ci s’ennoblissent-ils tellement dans cette traduction créatrice, qu’ils semblent eux-mêmes dignes d’une admiration sans réserve, et que l’on conçoit la méprise des Italiens, croyant, à la vue des Batailles gravées d’après Lebrun, que la France avait aussi son Raphaël, tandis qu’elle ne pouvait se glorifier que d’un autre Marc-Antoine.

Gérard Audran, né à Lyon en 1640, y avait reçu de son père les élémens de l’art ; il vint ensuite à Paris se placer sous la direction des grands maîtres, et se trouva par leur entremise en relation avec Lebrun, qui lui donna à graver d’abord une composition de Raphaël. En entreprenant ce travail, Audran n’avait pas devant les yeux le tableau

  1. On compte neuf graveurs dans la famille Audran. Quelques-uns ont été fort habiles ; mais Gérard, qui appartient à la seconde génération de cette race d’artistes, résume en lui et efface tous ceux de son nom qui l’ont précédé, entouré ou suivi.