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pas une limite fixe, et l’on a cité quelquefois un étrange ami de l’art qui, ne voulant admettre dans ses portefeuilles que des pièces de forme ronde et d’une certaine circonférence, taillait sur ce patron tout ce qui tombait sous sa main. Ajoutons qu’à côte de pareils iconomanes quelques hommes éclairés, comme l’abbé de Marolles et le comte Voyer-d’Argenson, n’augmentaient leurs recueils que dans un intérêt scientifique, et se proposaient de réunir aux spécimens de la gravure ancienne ceux qui servaient le mieux à caractériser les progrès modernes. Si la multitude des amateurs d’estampes sous Louis XIV atteste que l’amour de l’art était devenu général en France, on trouve dans le petit nombre des graveurs-amateurs un indice non moins significatif de l’extrême importance que cet art avait prise. Le temps était passé où le maniement de la pointe et du burin semblait facile. Faute d’exemples qui prouvassent le contraire ; on avait pu croire, à la cour de Charles IX et de Henri III, que le but était atteint lorsqu’on avait su dessiner quelques traits sur le cuivre ; mais, lorsque les maîtres du XVIIe siècle eurent déterminé par leurs travaux les conditions et la portée de la gravure, chacun comprit qu’il y aurait au moins inopportunité à faire d’un art si sérieux un objet d’amusement, et qu’il était désormais impossible de se contenter de croquis imparfaits, puisqu’on avait sous les yeux des chefs-d’œuvre[1].

Cependant la gravure n’était pas envisagée en France au point de vue seulement de l’élévation de la pensée et du style. Au-dessous des artistes de premier ordre se pressait la foule des artistes secondaires. On publiait, indépendamment des planches d’histoire et des portraits anille estampes diverses, sujets de mœurs, vues de villes et de monumens, costumes, fêtes et cérémonies publiques. La gravure des cartes géographiques, gravure fort antérieure à la découverte de l’art d’imprimer les estampes[2], se perfectionna sous la direction d’Adrien et de Guillaume Sanson, fils du célèbre géographe ordinaire de Louis XIII. Jacques Gomboust, auquel le roi avait accordé le titre de « son ingénieur pour l’élévation des plans de villes, » faisait paraître, en 1652, un plan de Paris et de ses faubourgs beaucoup plus exact et plus soigneusement gravé que les plans exécutés sous le règne précédent. Les estampes de

  1. Il existe néanmoins plusieurs petites pièces gravées à cette époque par quelques personnages de la cour et des membres du parlement. Le dauphin, fils de Louis XIV, s’essaya aussi dans la gravure sous la direction d’Israël Silvestre. On ignore si ce fut aveu succès ; ce que l’on sait seulement, c’est que Silvetre, qui portait le titre de « maître de dessin des enfans de France, » se crut autorisé, à partir de ce moment, à ajouter un de à son nom.
  2. Éginhard parle d’une table d’ardent que possédait Charlemagne, et sur laquelle on avait représenté en « traits extrêmement fins et déliés » les trois parties connues du monde, — Vita Caroli Magni, tome V, page 106 du Recueil des Historiens des Gaules par dom Bouquet.