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imaginaire qui personnifie à lui seul les troupes espagnoles obligées d’évacuer le sol français. Don Farinas marche fièrement, la main appuyée sur une vieille rapière le long de laquelle les araignées ont tendu leurs toiles ; une sorte de page en haillons et à jambe de bois, débris sans doute de l’armée défaite à Lens, l’accompagne en portant la botte de raves traditionnelle, Ils tournent le dos à Paris et prennent l’un et l’autre le chemin de l’hôpital, poursuivis par les sarcasmes des paysans et des bourgeois, les huées des enfans et les cris même des animaux, qui mêlent leurs voix à ce concert d’imprécations patriotiques. Tout cela n’est encore ni d’une grande force comique ni d’une exécution très délicate ; les plaisanteries sur les habitudes et la nourriture des Espagnols rappellent, pour le mordant ou la justesse, celles que l’on fit peu après en Angleterre sur les Français maîtres de danse et mangeurs de grenouilles. Cependant, lorsqu’on rapproche les estampes satiriques de cette époque des charges outrées ou obscènes qui les avaient précédées, il semble que le domaine de la caricature s’ouvre à des précurseurs plus dignes de tant de dessinateurs spirituels, et que quelque atticisme pénètre déjà en Béotie. Le progrès est manifeste dans les œuvres publiées vers la fin du règne de Louis XIV la Procession monacale, recueil de vingt-quatre gravures qui parut en Hollande, où les protestans s’étaient réfugiés, flétrit avec assez de vigueur la révocation de l’édit de Nantes et les personnages célèbres qui avaient participé à cette mesure : Louvois, Mme de Maintenon, tous les conseillers de Louis XIV, sont représentés sous le froc et avec des attributs significatifs ; le roi lui-même figure dans cette suite des héros de la nouvelle ligue, et porte comme les autres le costume de moine ; seulement un soleil, allusion à la devise altière, remplace son visage, et ce soleil encapuchonné tient à la main un flambeau pour s’éclairer dans les ténèbres qui l’environnent. Les estampes dont se composent ce recueil et beaucoup d’autres du même genre sont gravées avec une certaine verve ; elles offrent encore dans les détails quelques traces de mauvais goût, mais en général l’exécution en est vive et nette. Elles prouvent que l’on cherchait alors dans les arts comme dans les lettres le secret de faire rire surtout les honnêtes gens et de railler avec mesure ; en un mot, elles semblent, par rapport aux caricatures anciennes, l’équivalent à peu près des pièces de la comédie italienne, comparées aux bouffonneries du théâtre de la foire.

Tous les genres de gravure étant cultivés dans notre pays avec plus de succès que partout ailleurs, le commerce des estampes devint, sous Louis XIV, une des branches les plus florissantes de l’industrie française. Les grandes planches d’histoire, publiées presque toujours aux frais du roi, ne pouvaient se vendre que rarement à l’étranger et n’étaient guère exportées qu’à titre de cadeaux offerts aux souverains et aux ambassadeurs, tandis que les portraits gravés, les scènes de mœurs,