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contemporains ; d’autres offraient la collection de tableaux des galeries ou des cabinets célèbres[1]. Enfin la gravure de paysage, qui jusqu’à cette époque n’avait été considérée que comme un accessoire de la gravure d’histoire, commentait à rivaliser avec celle-ci, grace à Vivarès et à Balechou. C’est aux Français qu’appartient l’honneur d’avoir créé ce genre. On oublie trop souvent qu’ils y ont excellé les premiers et qu’une nation voisine n’aurait peut-être pas pu se glorifier de Woollett et de ses élèves sans les leçons de Vivares. En réclamant ce dernier comme une de ses gloires, l’Angleterre ne fait qu’étendre à un des maîtres de la gravure française ce système un peu large de naturalisation qu’elle applique dans d’autres arts à Haendel et à Lely.

Depuis Francisque Millet et Claude Lorrain, les peintres exclusivement paysagistes avaient été rares en France ; aucun du moins n’avait fait preuve d’une habileté supérieure. Joseph Vernet fut le premier qui rendit à l’art délaissé l’éclat dont il avait brillé jadis. Observateur surtout spirituel, Joseph Vernet manque, il est vrai, de certaines qualités vigoureuses et de cette gravité imposante qui caractérise les grands maîtres. Il y a dans ses œuvres plus d’intelligence que de sentiment profond, plus d’élégance, que de beauté. La nature y apparaît, comme dans les poèmes descriptifs de l’époque, un peu trop vernissée ou parfois accentuée un peu emphatiquement ; elle semble plutôt un texte sur lequel l’artiste disserte qu’un modèle qu’il étudie avec amour et qui l’inspire. Cependant cette nature, tout arbitraire qu’elle est, conserve assez de charme pour que l’image en plaise et intéresse, si elle ne réussit pas à émouvoir. On conçoit donc les justes succès de ce brillant artiste et l’influence qu’il exerça sur l’école française et sur le goût public[2].

Dans la haute situation où l’avaient placé ses talens, Joseph Vernet était plus capable qu’aucun autre peintre de donner à l’art de la gravure une impulsion heureuse. Il le dirigea vers un nouveau but, et

  1. Nous citerons parmi ces recueils le Cabinet de Crozat, les Peintures de l’hôtel Lambert et la Galerie de Versailles, commencée par Charles Simonneau, continuée par Massé, publiée enfin en 1752 après vingt-huit ans, de travaux consécutifs. Ce dernier ouvrage, à l’exécution duquel concoururent d’abord les graveurs formes par Gerard Audran puis les élèves de Tardieu, rappela plus de cinquante ans après la mort des grands maîtres, le faire de la belle école, non sans altération toutefois. Un peu plus tard, l’exemple donné par la France fut suivi par les autres nations, et l’on vit paraître successivement la Quadueria Medicea, le Museo Pio Clementino, la Galerie de Dresde, celle du comte de Bruhl, les recueils d’estampes de Boydell, etc, publications magnifiques qui honorèrent la fin du XVIIIe siècle en Italie, en Allemagne et en Angleterre.
  2. On sait que Joseph Vernet participa activement au mouvement des idées et au mouvement littéraire de son temps. Il se montra même, à la fin de sa vie, meilleur juge que les connaisseurs de profession, en forçant Bernardin de Saint-Pierre, découragé par sa malencontreuse lecture chez M. Necker, à tenter une nouvelle épreuve, dont la publication de Paul et Virginie fut le résultat.