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d’après West, la Mort du général Wolfe, puis la Bataille de la Hague, la meilleure composition du peintre américain, et la plus belle planche historique qui ait jamais été exécutée en Angleterre. Robert Strange, qui avait été élève à Paris, de Philippe Lebas, gravait en taille-douce, d’après les anciens maîtres italiens et flamands, ces estampes qu’on louerait sans réserve, si la correction du dessin y était égale à la beauté du coloris[1]. Tant de progrès accomplis en quelques années attirèrent l’attention des hommes d’état et du gouvernement anglais. On comprit qu’il était temps de ne plus payer une sorte de tribut à la supériorité de nos graveurs, et de laisser grandir à Londres même les talens que jusque-là on avait envoyé se former à l’école des maîtres français. George III venait de fonder la nouvelle académie royale (janvier 1769) et de placer à sa tête Joshua Reynolds ; il résolut d’encourager les arts plus efficacement encore en ordonnant de grandes entreprises de gravure, et, comme il espérait que le pays pourrait en retirer autant d’avantage commercial que de gloire, il accorda des primes pour faciliter l’exportation des estampes anglaises. L’importation des estampes gravées en France fut, au contraire, chargée de droits énormes. Cette question du progrès de l’art national devenue de la sorte une question politique, chacun s’empressa de seconder les vues de George III. Des souscriptions, s’élevant à un chiffre considérable, avaient été recueillies avant la publication des planches de Woollett ; celles que l’on ouvrit pour l’illustration des voyages de Cook et de Banks se trouvèrent remplies en quelques jours ; enfin, lorsqu’il fut question de graver la Mort de lord Chatam, la souscription monta aussitôt à 90,000 francs, et, les épreuves premières une fois retirées, on abandonna le produit de la planche au graveur, qui se vit en moins de deux années possesseur d’une somme à peu près équivalente. Cette ardeur de protection ne se refroidit pas : elle suscita de nouveaux talens, et attira à Londres une foule d’artistes étrangers sûrs d’y obtenir les encouragemens qui commençaient à leur manquer ailleurs. Cipriani, Bartolozzi, Angelica Kauffmann, Catherine Prestel, le Suisse Moser, cent autres peintres ou graveurs vinrent successivement contribuer par leurs travaux au succès de l’école et à l’extension du commerce anglais[2].

  1. Les ouvrages de Strange sont fort répandus en France, et participent à quelques égards de la manière de nos graveurs. De là l’erreur, assez générale, qui attribue à quelque artiste de l’école française le Saint Jerôme d’après Corrége, le portrait de Charles Ier d’après Vandyck et la Vénus d’après Guido Reni.
  2. Dans un ouvrage dédié au ministre Pitt et intitulé de l’Origine du Commerce et de son histoire jusqu’à nos jours, Londres, 1790, on lit qu’à cette époque les estampes exportées étaient, par rapport à celles importées de France, « comme cinq cents à un, selon le calcul le plus exact, » et que le commerce de gravures, loin d’être restreint à un seul pays, s’étendait à toute l’Europe.