Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1045

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À mesure que l’art se développait en Angleterre, et que les œuvres s’y multipliaient, en France la gravure déclinait visiblement. La fin du règne de Louis XVI vit naître encore plusieurs de ces recueils, si nombreux sous le règne de Louis XV, où le burin retraçait les fêtes et les cérémonies publiques ; on publia aussi beaucoup d’éditions ornées de vignettes, une multitude d’estampes de boudoir, traitées avec grace et talent par Levasseur, Cochin, Moreau, et les élèves de ces spirituels artistes ; mais, sauf quelques portraits du roi et des princes, la gravure française ne produisit rien que de médiocre dans le genre sérieux où elle s’était autrefois illustrée. Ce n’est que plus tard, à l’apparition des planches d’histoire de Bervic, qu’elle semble recouvrer une partie de sa gloire et renouer la tradition perdue. L’époque révolutionnaire, peu favorable, comme on sait, aux arts en général, ne le fuit nullement à la gravure. Les études de paysage gravées à la pointe par Boissieu, quelques eaux-fortes de Duplessis-Bertaux, quelques estampes imitant le lavis ou exécutées en plusieurs couleurs par Debucourt, sont à peu près les seules œuvres d’art qu’il y ait lieu de mentionner, car on ne pourrait citer comme telles ces pauvres pièces, d’un intérêt tout au plus historique, où d’étranges successeurs des Audran et des Nanteuil prétendent montrer l’hydre de la Féodalité ou de la Tyrannie anéantie, l’Innocence vengée, la Liberté triomphante, etc. ; ces portraits trop peu flattés des membres de la convention nationale ; et ces mille caricatures avec texte où la belle humeur des sans-culottes se traduit dans un style affranchi à la fois des entraves du dessin et de celles de L’orthographe. Les rares graveurs dignes de ce nom qui étaient restés en France se condamnaient à des travaux obscurs. À une ère de décadence avait succédé pour la gravure une époque de mort. L’art ne périt pas cependant. Après un intervalle de plus de dix ans, la gravure d’histoire et de portrait fut traitée dans notre pays, sinon avec l’ancienne supériorité, du moins avec plus d’habileté que dans les pays étrangers auxquels nos exemples ne tardèrent pas à redevenir profitables. Toutefois la conformité des tendances, altérée déjà sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI, disparut absolument. Il n’y eut plus, à vrai dire, d’école de gravure, il n’y eut que des graveurs indépendans les uns des autres et diversement inspirés. En un mot, l’époque actuelle, l’époque des individualités, commença.


HENRI DELABORDE.