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couleur sert d’ordinaire à distinguer la reine. Tous deux se placent à l’une des extrémités de la pièce, près d’une espèce d’autel, sur lequel est posée la caisse qui renferme la couleuvre sacrée. Après l’adoration de la couleuvre et le renouvellement du serment, le roi et la reine, prenant tour à tour la parole, vantent les bienfaits dont le dieu Vaudoux comble ses fidèles et invitent les assistans à venir le consulter ou l’implorer. Ceux-ci se présentent par rang d’ancienneté et formulent leurs souhaits, où la morale trouverait parfois à reprendre. À chaque invocation, le roi vaudoux se recueille et attend venir l’esprit ; puis, posant brusquement à terre la boîte qui renferme la couleuvre, il fait monter dessus la reine, qui, à ce contact, est saisie d’un tremblement convulsif et rend ses oracles, prodiguant, selon l’occasion, les promesses ou les menaces. La consultation finie, chacun des assistans vient déposer son tribut dans un chapeau recouvert, et le produit de ces collectes forme le budget public et secret de l’association. Le roi et la reine transmettent ensuite à l’assistance les ordres généraux du dieu Vaudoux, et un nouveau serment d’obéissance est prêté.

C’est à ce moment qu’on procède, s’il y a lieu, à l’admission de nouveaux membres, admission sur laquelle le dieu Vaudoux a été préalablement, consulté. Le récipiendaire se place dans un grand cercle tracé au charbon. Le roi lui met dans la main un paquet composé d’herbes, de crins, de morceaux de cornes ou d’ossemens, et, le frappant légèrement à la tête avec une palette de bois, entonne la chanson africaine qui commence ce récit. L’assistance la répète en chœur, et le récipiendaire, qui s’est mis à trembler et à danser (ce qui s’appelle monter vaudoux), arrive bientôt, le tafia aidant, à un tel paroxysme d’excitation nerveuse, qu’il ne reprend quelquefois ses sens et ne cesse de danser que sous l’impression d’un vigoureux coup de nerf de boeuf. Si, dans les écarts de cette danse épileptique, le récipiendaire franchit le cercle, les chanteurs se taisent brusquement, et le roi et la reine tournent le dos pour écarter ce mauvais présage.

L’épreuve terminée, le récipiendaire est admis à prêter serment devant l’autel de la couleuvre, et la danse du vaudoux commence. Le roi touche du pied ou de la main l’asile de la couleuvre, et peu à peu toutes les parties supérieures de son corps tremblent et s’agitent à contresens comme si elles se disloquaient. Alors se produit un effet sympathique que la physiologie pourrait difficilement révoquer en doute après ce que nous savons des sectes convulsionnaires de l’Europe, et auquel ceux des blancs même qu’on a surpris épiant les mystères du vaudoux n’ont pas toujours échappé. La commotion désordonnée qui agite la tête et les épaules du roi vaudoux se transmet de proche en proche à tous les assistans. Chacun d’eux est bientôt en proie à un tournoiement vertigineux que la reine, qui le partage, entretient en