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l’entourage de Soulouque. Comme Biassou, qui, dans tout l’appareil de la sorcellerie et du paganisme africains, menait ses noirs venger sur les républicains l’assassinat de Jésus-Christ et du roi de France ; comme Romaine-la-Prophétesse[1], un autre bandit-sorcier de la même époque, qui se proclamait filleul de la Vierge, disait la messe et torturait les blancs au nom de la mère de Dieu, frère Joseph met à contribution tous les genres de croyance, tenant à la disposition de ses crédules ouailles des wangas, des neuvaines, des fétiches garde-corps et des cierges bénis.

C’est dans ce monde fantastique, tout peuplé de zombis et de présages, de merveilleux et d’épouvantes, qu’on était allé prendre Soulouque. Quoi d’étonnant qu’il en sortit un peu dépaysé et ahuri et qu’au moment de s’asseoir sur le fauteuil de Boyer il regardât bien s’il n’allait pas s’asseoir sur un sortilège ? Aucun des quatre présidens qui s’étaient succédé, depuis 1844, sur ce fauteuil n’avait atteint le bout de l’an : deux avaient été frappés de déchéance, deux autres de mort avant ce terme, et la mort de Riché surtout, arrivant juste l’avant-veille du premier anniversaire de son avènement, avait confirmé le peuple, ainsi que les membres les plus compétens de la sorcellerie haïtienne, dans l’opinion qu’il y avait là nécessairement maléfice. Je sais des blancs que cette remarque aurait quelque peu émus. En échappant à ce premier danger, Soulouque n’était pas encore au bout de ses transes. Était-ce bien au fauteuil, n’était-ce pas plutôt au palais national même que s’attachait cette influence sans nom si fatale aux quatre derniers présidens ? Les opinions étaient à cet égard fort partagées, et on vit le moment où le nouvel élu allait refuser net d’habiter ce palais, dont les hôtes ne sortaient qu’expulsés ou sans vie. Une révélation précieuse vint cependant calmer un peu cette incertitude et ces angoisses.

Aux premiers rangs de la sorcellerie de Port-au-Prince figure une femme de couleur qui tire les cartes, fait parler les pierres et les couleuvres, préserve les enfans de la coqueluche, et assure à vie ou à terme contre l’infidélité des maris et des amans. Elle brûle aussi, devant une statuette de la Vierge, un nombre donné de petites bougies, et, si l’une des bougies a charbonné ou s’est prématurément éteinte, elle en avertit consciencieusement les consultans, qui la paient pour recommencer. Mme Soulouque était l’une des clientes les plus assidues de la devineresse, qu’elle manda. On s’enferma, on brûla des cierges, on épuisa toutes les ressources de la liturgie vaudoux, et la devineresse parvint à découvrir que le président Boyer, qui l’en eût cru capable ? avait caché en partant, dans les jardins du palais, une poupée dont

  1. C’était un grif espagnol dont le véritable nom était Romaine Rivière.