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elle donnait la description minutieuse, et par la vertu de laquelle tout successeur de celui-ci était condamné à ne jamais atteindre son treizième mois de pouvoir. Soulouque avait pu trembler devant l’inconnu : le danger défini, il l’attaqua bravement de front et, par ordre de son excellence,… on commença des fouilles pour découvrir le fétiche enfoui par le machiavélique Boyer.

Parlons sérieusement, car ceci va devenir la clé d’événemens sérieux et lamentables, et il importe de bien déterminer la part de responsabilité qui reviendra dans ces événemens à chacun. Les rires trop peu déguisés par lesquels la fraction éclairée des jaunes et des noirs accueillit ces anecdotes de palais étaient à la fois une injustice et une faute. Qu’importait, après tout, qu’un pauvre noir illettré gardât, dans le secret de son intérieur, le culte des croyances paternelles, et qu’il eût plus peur des maléfices que des balles ? Le milieu haïtien étant donné, ne fallait-il pas même se féliciter de la communauté de superstitions qui rattachait moralement au gouvernant les quatre cinquièmes de ses gouvernés, et ralliait à l’action officielle des influences qui, depuis Accaau, étaient redevenues un dangereux levier de sédition et de brigandage ? L’essentiel, c’était que Soulouque sût se fortifier de ces influences et ne les fortifiât pas ; et, à ce point de vue, il offrait toutes les garanties désirables. Sous Pierrot lui-même, sous Pierrot, l’ami d’Accaau, Soulouque était allé arrêter en personne, aux Cayes, les principaux lieutenans de celui-ci, sans excepter le prophète vaudoux de la bande, frère Joseph. De là, il s’était rendu au siège du commandement militaire d’Accaau, avait fait venir les principaux mulâtres, et leur avait dit, en présence même du verbeux bandit : « Les mulâtres ont autant de droit ici que les noirs. Si le général Accaau vous opprime, prenez un fusil et servez-vous-en ! »

Les débuts de Soulouque, comme président, prouvaient plus péremptoirement encore qu’il entendait n’avoir rien de commun en politique avec ce parti ultra-africain dont ses superstitions le rapprochaient. J’ai dit que l’idée fondamentale de ce parti était la haine des Français, haine par laquelle il cherchait à maintenir le seul obstacle qui pût s’opposer, depuis 1825, à l’immigration blanche, et par suite à la multiplication de la classe de couleur, ce qui est pour lui le grand point. Or, le premier message de Soulouque constatait avec une véritable effusion de reconnaissance les bons procédés du gouvernement français. Ce désir de bons rapports avec nous qu’on verra devenir une des idées fixes de Soulouque et survivre, chez lui, même au réveil de ces passions ultra-africaines dont il sera bientôt la personnification sanglante, un pareil désir, disons-nous, était de sa part d’autant plus méritoire, que la seule idée politique qui se fût logée jusque-là dans son cerveau répondait à des tendances diamétralement contraires. Le