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à tendre silencieusement la bourse et la gorge à la première réquisition d’un ivrogne secondé de quelques bandits. Les deux injonctions du protecteur de Similien trahissaient un parti pris d’autant plus menaçant qu’elles n’avaient pas même l’excuse d’une apparence de légalité. La constitution ne permettait l’arrestation d’un sénateur qu’en cas de flagrant délit pour des faits criminels, et, aux termes d’un autre article, la forme de procéder devant le sénat devait être déterminée par une loi, laquelle loi n’avait jamais été rendue. Aussi le message présidentiel trouva-t-il dans le sénat une opposition très vive ; mais cette opposition dut bientôt céder devant un formidable appareil militaire qui se déploya non loin du palais de l’assemblée, pendant que le reste de la ville était parcouru en tout sens par des forces nombreuses et une nuée d’officiers et de généraux à cheval. Le bruit qui se répandit tout à coup de l’approche des noirs de la plaine, et plus encore une deuxième injonction du président au sénat d’avoir à ordonner sur-le-champ l’arrestation prescrite, si on ne voulait le voir lui-même, à la tête de sa garde, aller appréhender au corps le sieur Courtois, achevèrent de vaincre les résistances, d’heure en heure plus faibles, de cette assemblée, qui décréta enfin la double illégalité qu’on lui imposait. Une commission de cinq sénateurs se rendit à huit heures du soir chez le prévenu pour lui signifier ce décret et l’inviter à se constituer prisonnier. Ils le trouvèrent dans sa galerie, devant la porte extérieure de sa demeure, en uniforme, entouré de sa famille, et la ceinture garnie de pistolets. Sa réponse fut un refus bien articulé d’obéir, prévoyant parfaitement, disait-il, le sort qui lui était réservé, et la menace, si la force était employée, de mettre le feu à un baril de poudre placé derrière lui. La maison resta cernée de très loin, toute la nuit, pendant que la terreur régnait dans les quartiers environnans et que toute la ville était sur pied. Ce fut dans la matinée du lendemain seulement que M. Courtois céda aux vives instances de ses amis et d’une partie des sénateurs, lesquels lui promettaient, sans probablement le croire, que le président, désarmé par son obéissance, ne pousserait pas les choses plus loin ; il consentit à se rendre en prison, pourvu qu’aucun agent de la force publique ne l’accompagnât. À son entrée dans la geôle réservée aux criminels ordinaires, on le chargea de fers. Les magasins restèrent fermés tout le jour, et le lendemain dimanche les crieurs publics, précédés de musique et de tambours, vinrent interrompre le silence de terreur qui planait sur la ville en proclamant les crimes de Courtois et sa mise en jugement.

Ce procès, d’où allait peut-être sortir une lutte effroyable, s’ouvrit deux jours après. Il est à remarquer qu’au nombre des griefs formulés contre l’accusé par le commissaire du gouvernement figurait celui d’avoir souvent risqué d’irriter la France par d’odieuses diatribes