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contre son gouvernement et le roi lui-même, et par d’infâmes accusations contre notre précédent consul général, M. Levasseur. À une époque où la haine de la France était encore fort à la mode parmi les hommes de couleur, M. Courtois, élevé en France, ancien officier au service de France et marié à une Française., n’avait en effet rien trouvé de mieux, pour conquérir une popularité qui lui fit toujours défaut, que d’outrer des sentimens contraires à ceux que semblait lui imposer ce triple lien. La tâche des défenseurs était facile, car, outre les deux causes de nullité et d’incompétence mentionnées plus haut, la constitution consacrait une liberté à peu près illimitée de la presse ; mais Soulouque apportait un terrible concours à l’argumentation du ministère public. Dans des allocutions journalières adressées aux heures de parade à sa garde, pendant toute la durée des débats, Soulouque répétait avec une insistance implacable que, si la mort de Courtois lui était refusée, il ne le ferait pas moins fusiller. Ce speech matinal de son excellence était chaque fois applaudi avec fureur par les gens de sac et de corde qui avaient élu domicile aux portes et jusque dans la cour du palais, toujours à l’affût d’un signal à interpréter contre les mulâtres. Similien en était rayonnant de satisfaction et de sérénité. L’effroi arriva peu à peu à tel point dans la ville, qu’on n’osait plus y faire des vœux pour l’accusé, dans la persuasion que cette victime était nécessaire à la satisfaction d’instincts dont la cruauté n’avait pas été soupçonnée jusque-là. Enfin, le soir du quatrième jour, après huit heures de délibération durant lesquelles les injonctions les plus menaçantes n’avaient pas été épargnées, l’arrêt fut rendu : le sénat, qu’on jugeait avoir fait une complète abnégation de lui-même, se relevait subitement dans l’opinion par un verdict qui ne condamnait M. Courtois qu’à un mois d’emprisonnement, en lui conservant son siège de sénateur. Ce verdict allait même au-delà des concessions de la majorité car, sur vingt-et-un sénateurs présens, les noirs, au nombre de plus de la moitié, s’étaient prononcés pour l’acquittement pur et simple. Il est plus aisé de comprendre que de décrire l’emportement du président et du parti Similien à cette nouvelle. La garde et les troupes de la garnison restèrent sous les armes toute la nuit, pendant qu’on agitait au palais les résolutions les plus violentes. Les plus modérés proposaient d’enjoindre à la chambre des représentans de casser la sentence du sénat, et, en cas de refus d’obtempérer à une exigence aussi monstrueusement illégale, de briser tout le pouvoir législatif. Je dois dire que Soulouque recula tout d’abord devant une pareille éventualité. Dans ses idées à lui, le pouvoir législatif faisait partie intégrante du mobilier gouvernemental et il n’entendait pas être plus pauvrement meublé que ses prédécesseurs. Enfin, le jour venu, son excellence s’arrêta à un expédient qui, d’après elle, devait tout concilier.