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Il s’agissait non plus de casser la sentence du sénat qui restait libre de faire de cette sentence ce que bon lui semblerait, mais simplement de faire rejuger Courtois par un conseil de guerre, auquel furent immédiatement convoqués les innombrables généraux domiciliés ou employés dans la capitale.

Le formaliste Soulouque les reçut au milieu d’un formidable appareil militaire, ayant près de lui l’inévitable Similien, un certain général Bellegarde, homme d’affreux antécédens, qui pour son coup d’essai, avait voulu assassiner jadis le président Boyer, et un autre nommé Belanton, qui, à ses momens d’épanchement, se vantait de pouvoir d’un mot lancer sur la ville les noirs de la plaine. Il ne manquait à la réunion que le brave général Therlonge, commandant de l’arrondissement de Port-au-Prince, qui avait refusé d’obéir à trois appels consécutifs, et fut, pour ce motif, remplacé peu après par l’abominable Bellegarde.

Après de violentes récriminations, le président, interpellant un à un tous les généraux convoqués, posa à chacun d’eux cette question « Courtois est-il coupable à vos yeux ? » Quelques-uns voulaient biaiser et développer une opinion. « Répondez oui ou non ! » disait aussitôt Soulouque d’un ton froidement impératif qu’on ne lui avait pas connu jusque-là. Personne n’osa répondre non. Les plus audacieux ajoutèrent seulement à leur affirmation ces mots : puisque le sénat l’a condamné. Les généraux furent congédiés à dix heures avec ordre de revenir à deux heures de l’après-midi pour signer leur décision, et, pendant qu’il faisait rédiger cette décision, Soulouque, qui pensait à tout, donna ordre de creuser la tombe de Courtois.

Les mulâtres exaspérés avaient passé la nuit à préparer leurs armes et à faire des balles, décidés à se porter à la maison d’arrêt pour en arracher Courtois à la première tentative qui serait faite contre sa vie ; mais, au jour, une pensée de prudence était venue se mêler à ces apprêts belliqueux. Les magasins étaient fermés. Des objets de prix étaient de toutes parts apportés en dépôt au consulat de France ; des demandes de protection et d’asile lui étaient incessamment adressées par les familles de couleur les plus considérables soit par leur fortune, soit par la position politique de leurs chefs. On venait, en effet, d’apprendre que les noirs de la vaste plaine qui s’étend à l’est et au nord de Port-au-Prince et ceux qui habitent les mornes voisins avaient reçu chacun dix cartouches avec ordre de se ruer sur la ville au premier coup de canon qui partirait du fort national. Vers trois heures, les membres des deux chambres furent convoqués par leurs présidens à une séance extraordinaire, ce qui semblait faire présager une résolution décisive ; mais, dans l’intervalle, tous les généraux étaient retournés au palais, selon l’ordre qu’ils avaient reçu le matin, et venaient