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requête lamentable de Mme Courtois, sollicité, pressé par une foule de gens qui le suppliaient de prévenir une immense effusion de sang, sachant d’un autre côté que des ordres allaient être expédiés pour l’arrestation de M. David Troy, du député Preston, le plus riche négociant de Port-au-Prince, des trois défenseurs de Courtois, dont l’un était également député, et, du sénateur Latortue qui avait le plus insisté pour son absolution, apprenant enfin que la tombe était déjà creusée, il fit prévenir le ministre des relations extérieures qu’il désirait être reçu par le président. Ce ne fut que trois heures après qu’un aide-de-camp de celui-ci vint dire au consul général qu’il était attendu.

M. Raybaud avait fait préalablement proposer au consul d’Angleterre de se réunir à lui pour tenter un effort en commun ; mais ce jour-là M. Ussher, excellent et intelligent homme au fond, n’était pas en veine d’exigences, et il se résigna à laisser à M. Raybaud tout l’honneur d’une démarche dont le succès était douteux, la difficulté immense, le profit très problématique, le danger réel. Il se contenta de répondre qu’il venait d’écrire au président en faveur de Courtois, et qu’il s’abstiendrait jusqu’à la réception d’une réponse qui ne devait, bien entendu, jamais lui parvenir. M. Raybaud était donc arrivé seul au palais.

Les honneurs doublement extraordinaires pour la circonstance qui venaient d’accueillir à son entrée M. Raybaud avaient paru de bon augure ; mais la contraction violente des traits du président, qui parut cinq minutes après et le fit asseoir près de lui, apprit bientôt aux spectateurs pleins d’anxiété de cette scène que notre consul avait accepté une tâche fort pénible. Ne voyant pas auprès du président le ministre des relations extérieures, M. Dupuy, qui, pour des raisons tout autres que de bienveillance, ne cédait ordinairement à personne son droit d’interprète dans les audiences accordées au consul général de France, celui-ci en témoigna sa surprise. Le président, tout en offrant de faire appeler M. Dupuy, assura à M. Raybaud qu’il comprendrait très bien.

Le consul parla au président de la collision qui allait nécessairement éclater, s’il s’obstinait à faire périr le sénateur Courtois au mépris d’une sentence rendue par le premier corps de l’état, de l’incendie et du pillage de la ville, enfin des pertes énormes dont le commerce étranger aurait à demander compte à la république. — Le sénat m’a outragé… Si l’homme ne meurt pas, que deviendra mon honneur ? — Telle était l’invariable, réponse de Soulouque, et l’altération de sa voix, entrecoupée de pénibles silences, témoignait du violent état de son ame. La conversation, que plusieurs des assistans avaient pu suivre jusque-là, continua un moment à voix basse ; on put cependant comprendre que M. Raybaud insistait sur le danger de ne pouvoir s’arrêter dans la voie sanglante où le président allait se précipiter, sur les inimitiés