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aujourd’hui de prison, Giusti adressa des vers à l’ombre du grand Florentin. Je traduis littéralement cette dernière pièce. Bien qu’elle soit divisée en octaves, l’imitation du style de la Divine Comédie n’échappera sans doute à personne. Parfois l’imitation est heureuse, parfois aussi les efforts du poète demeurent impuissans. Il veut emprunter aux tercets de la Divine Comédie leur concision biblique, et il prend l’obscurité pour la concision. Cependant il y aurait de l’injustice à ne pas louer l’élévation des pensées dont se compose cette pièce. La forme n’a rien d’original ; mais Giusti, en s’adressant au poète gibelin, n’oublie jamais l’auguste majesté de son interlocuteur, et semble puiser dans son regard les sentimens qu’il exprime. Quoique je ne veuille conseiller à personne l’imitation servile d’aucun modèle, il est certain pourtant que l’imitation, lorsqu’elle se borne au style et ne dégénère pas en plagiat, peut devenir un utile exercice. Giusti imite le style de la Divine Comédie comme Paul-Louis Courier imitait le style d’Amyot et de Montaigne. Il dit sa pensée dans la langue du XIVe siècle, mais il ne renonce pas à penser par lui-même. Voici la pièce inspirée par la fresque de Giotto ; il ne faut pas oublier, en la lisant, qu’elle a été écrite huit ans avant la guerre du Piémont contre l’Autriche.


VERS A DANTE
Sur le nouveau portrait découvert à Florence en 1840
I

Quelle grace te montre à nous, ô première gloire italienne, par qui notre langue a prouvé ce qu’elle pouvait ? Comment as-tu daigné te tourner vers nous, du point où tout désir s’apaise ? Le lieu de ta naissance a-t-il dans ton cœur un si grand prix, qu’il t’est doux de retourner encore dans le monde éternellement amer ?

II

Mais tu peux bien descendre du séjour immortel ici-bas où l’on pleure ; la miséricorde de Dieu t’a rendu tel que notre misère ne t’atteint pas : tu as résolu dans ta pensée un doute grave, et ce désir enivrant qui nous a long-temps tenus avides et affamés, tes yeux l’ont contemplé sans voile.

III

Dans ton admirable visage brûle et resplendit je ne sais quoi de divin qui te rend à nous dans ta vraie pensée : devant toi, comme le pèlerin regardant le temple où il a fait vœu de s’agenouiller, soupirant en silence, je sens mon ame toute joyeuse qui me dit : Maintenant, pourquoi ne parles-tu pas à ton poète ?

IV

Une tristesse sereine erre dans tes yeux et sur tes joues ; le regard sérieux et vif étincelle, comme il convient à une si grande intelligence, et dans le miroir