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de ton front austère, tel que le soleil dans l’eau pure, resplendit le génie et l’ame qui se sent immaculée.

V

Tel tu as été dans la Vie Nouvelle, et les étoiles bienfaisantes ont fait de toi un modèle accompli de courtoisie, de génie et de valeur, qui alors allaient de pair ; tel tu étais lorsque t’abandonna ta maîtresse chérie, la belle jeune fille, incertain et seul, dans la forêt sauvage, armant tes ailes pour l’essor que tu as pris.

VI

Résolu et viril, tu as tenté de dompter ton peuple injuste ; puis, chassé du beau bercail, tu as mendié ta vie morceau à morceau, exposé aux coups de la fortune par les quatre points cardinaux, et ta valeur s’est accrue par ton infortune, et ton vers a pu mieux décrire de la cime aux fondemens l’univers entier.

VII

Solitaire et sans parti, tu as pesé dans une juste balance le bien et le mal, et dans le cercle auguste de l’art, comme dans le ciel libre, tu as déployé tes ailes : une muse nouvelle te montrait les ourses, et ton antenne, qu’aucune langue et aucune aile n’a jamais pu atteindre, t’a poussé jusqu’à Dieu.

VIII

Ta vision, qui s’appuie à une telle hauteur, nous enivre de plus en plus ; personne ne l’a vue encore assez souvent pour n’y pas trouver une beauté nouvelle. Celui-là seul goûte bien le fruit de la plante nouvelle qui la connaît tout entière ; en elle se mire celui qui se plaît à bien faire, c’est à elle que se mesure la beauté morale.

IX

Peut-être ne vois-je pas entière la beauté dont je parle, peut-être n’arrive-t-elle pas entière jusqu’à nous ; je crois que celui-là seul qui l’a créée la savoure tout entière ; elle cache son essence profonde ; l’œil qui s’aventure à travers ses flots éprouve sa clairvoyance ; elle se livre selon l’ardeur du regard qui la contemple.

X

Ta pensée a mille méandres, et celui qui veut y pêcher la vérité, dévoré d’une soif ardente, y porte des rêveries et des songes dont il nourrit les ames simples ; l’un ne la comprend pas, l’autre la condense, ou va de feuillet en feuillet, tissant des énigmes, et dilate les mailles du texte au point de briser la mesure.

XI

Par plaisir ou par méprise de qui se complaît dans le oui ou dans le non, tous les ans, de telles fables se crient çà et là du haut de la chaire. O guide et fondement de toi-même, tu diras aux esprits nourris de vent que celui-là quitte en vain la rive, qui veut pêcher la vérité et ne possède pas l’art.