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parle, ce n’est que pour appuyer ma pensée sur un fait facile à vérifier.

Je trouverais sans peine dans le recueil publié à Lugano plus d’une pièce qui donnerait à mon opinion toute l’évidence d’une démonstration. Je n’en citerai qu’une seule, le Créateur et la Création. La donnée choisie par Giusti est celle d’une chanson populaire parmi nous, et que je n’ai pas besoin de rappeler. Dieu se met à la fenêtre et parle à saint Pierre de tout ce qu’il voit sur la terre. Il y a certainement beaucoup d’esprit et de gaieté dans la pièce de Giusti, et chaque strophe appartient tout entière au poète toscan ; mais l’entretien de Dieu et de saint Pierre est plutôt une improvisation ingénieuse qu’une œuvre définitive. L’esprit du lecteur le plus modeste ajoute volontiers au dialogue quelques traits nouveaux, efface sans hésiter plus d’une expression vulgaire, et dont la vulgarité ne peut être confondue avec l’accent familier. N’est-il pas évident qu’une composition long-temps méditée ne susciterait jamais de telles pensées ? Si l’entretien de Dieu et de saint Pierre, au lieu de marcher au hasard, nous offrait une série de sentimens disposés dans un ordre nécessaire, de telle sorte qu’il fût impossible de les déplacer sans les affaiblir, personne ne songerait à corriger le texte qu’il vient de lire. L’improvisation explique seule de telles velléités. Aussi je n’hésite pas à croire que Giusti se contentait trop facilement, et que s’il eût été plus sévère pour lui-même, s’il eût prêté aux louanges de ses amis une oreille moins complaisante, son nom eût vécu plus long-temps. Pendant quinze ans, ses vers ont été lus avidement, parce qu’ils exprimaient, sous une forme railleuse, le sentiment populaire ; aujourd’hui la foule témoigne une admiration beaucoup plus tiède pour le poète qu’elle a tant aimé, et les hommes sérieux, tout en reconnaissant chez Giusti des intentions excellentes, des pensées généreuses, sont obligés, pour demeurer fidèles à la vérité, de signaler dans son talent des lacunes nombreuses : la réflexion et l’instinct se rencontrent dans la justice.

Pour bien comprendre ce qui manque à Giusti, il est inutile de remonter jusqu’aux satires de Salvator Rosa ou de l’Arioste ; il suffit de relire Parini. Le poème de Parini, sur les quatre parties du jour, peut en effet servir de modèle aux poètes italiens qui veulent traiter la satire. Si l’on n’y retrouve ni la franchise familière de l’Arioste, ni la fantaisie hardie de Salvator, on suit avec bonheur le développement d’une pensée toujours vraie, et l’on admire l’élégance soutenue du langage. À coup sûr, s’il s’agissait de choisir entre les satires de l’Arioste et le Jour de Parini, je n’hésiterais pas un seul instant, car l’élégance de Parini manque trop souvent de simplicité, tandis que le style de l’Arioste rappelle tour à tour Horace et Réguler ; mais je parle de Parini à propos de Giusti, parce qu’il est plus près de nous, et parce