Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de nouveau proclamé le principe essentiel de sa politique vis-à-vis de l’Europe, et dès-lors il ne s’agissait plus que d’attendre les occasions de l’appliquer.

Dès le mois d’avril 1848, les démocrates allemands, voulant changer la Germanie monarchique en république socialiste, concentrèrent leurs efforts sur le grand-duché de Bade comme sur le point le plus vulnérable, et donnèrent le signal de la première des insurrections qui mirent ce petit pays si près de sa ruine. Hecker, Struve et Peter étaient les chefs de ce mouvement. Leur centre d’opérations était heureusement choisi ; la situation politique du pays de Bade touche par tant de côtés la situation même de la Suisse. Sur aucun autre point de l’Allemagne peut-être les élémens de dissolution ne se présentent plus nombreux, plus menaçans que sur le territoire badois. Qu’on se représente un pays composé des possessions des margraves de Bade, de parcelles autrichiennes, d’une partie du Palatinat et de quelques terres de maisons médiatisées ; — une dynastie à laquelle a toujours manqué un prince d’une assez grande habileté pour consolider cette agglomération ; — une bureaucratie généralement intéressée et servile, obséquieuse vis-à-vis des supérieurs, brutale et tracassière vis-à-vis du paysan et des bourgeois ; — une armée dont les officiers, à quelques exceptions près, n’avaient jamais su conquérir la sympathie de leurs soldats ; — deux universités, Heidelberg et Fribourg, centres du rationalisme allemand le plus grossier en religion comme en politique : — tel était le frêle édifice que la démagogie d’outre-Rhin avait entrepris de battre en brèche, et en vérité il n’était que trop facile de l’ébranler jusque dans ses bases. Les classes les plus éclairées de la population badoise ne se faisaient pas faute de compliquer la tâche déjà si délicate de leur gouvernement. À Heidelberg, le clergé réformé avait subi l’influence du professeur Paulus, qui ne voyait dans les miracles de Jésus-Christ que des tours de gobelet. À Fribourg, l’historien Rotteck[1] s’efforçait de réduire la position du grand-duc à celle de ce grand-électeur de Sieyès que Napoléon qualifiait de porc à l’engrais. C’était dans ces deux universités cependant que se formaient les fonctionnaires, les avocats, les publicistes, qui ne tardèrent pas à couvrir tout le pays d’un réseau impénétrable. Telle fut l’origine de l’opposition de plus en plus menaçante des chambres badoises, à laquelle le gouvernement ne savait répondre depuis longues années que par le veto de la diète de Francfort, puis, en dernière analyse, par la menace de l’intervention autrichienne. On comprend quelle trace durent laisser les événemens de 1848 dans ce

  1. Le Dictionnaire des Sciences d’état de M. Rotteck est un des ouvrages qui ont été le plus funestes à l’Allemagne du sud et à la Suisse. L’influence qu’il a eue sur la société allemande contemporaine ne peut se comparer qu’à celle que l’Encyclopédie exerça sur la société française du XVIIIe siècle.