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malheureux pays. Aujourd’hui encore, le grand-duché est placé en face l’un dilemme dont les deux termes sont pour lui également redoutables. La Prusse déclare ne vouloir retirer ses troupes d’occupation que si le grand-duché lui offre des garanties suffisantes d’ordre et de stabilité ; d’autre part, le régime militaire de la Prusse est antipathique aux masses, et la présence des troupes prussiennes, loin d’arrêter les progrès du radicalisme, ne fait que les accroître dans des proportions effrayantes. Comment sortir de cette funeste voie sans se heurter, sans se briser peut-être contre un écueil ?

Ce foyer d’agitation, si menaçant pour la tranquillité de la Suisse, fit explosion, comme on pouvait s’y attendre, peu de jours après la révolution de février. Les chefs de l’insurrection badoise s’appuyaient, d’un côté, sur les colonnes d’ouvriers allemands revenus de France ; de l’autre, ils croyaient pouvoir compter que la Suisse interviendrait en leur faveur, et leur donnerait au moins l’appui de cinq à dix mille fourmes de corps-francs. Les chances semblaient belles pour les radicaux suisses ; le gouvernement sut résister cependant à leur influence, et les demandes pressantes des insurgés allemands restèrent sans écho. Les populations des cantons frontières assistèrent immobiles aux événemens qui se passaient sur l’autre rive du Rhin, et la démagogie allemande ne parvint à enrôler sous son drapeau qu’un petit nombre de volontaires suisses. Les gouvernemens cantonaux firent occuper les frontières pour empêcher toute violation du territoire helvétique, et se bornèrent à accueillir, sans distinction de partis, tous les réfugiés qui venaient leur demander un asile. La politique de neutralité ne pouvait s’inaugurer plus dignement par une attitude qui déjouait si bien les coupables projets du radicalisme allemand.

Au moment même où on tranchait ainsi la question soulevée par l’insurrection badoise, l’attention du gouvernement fédéral était appelée sur un autre point des frontières helvétiques. La Sardaigne avait commencé sa guerre contre l’Autriche, et la diète suisse se rassembla pour examiner la ligne qu’il convenait de suivre en une si grave circonstance. Dans ses séances du 17 et du 18 avril, elle eut d’abord à discuter la demande du gouvernement de Genève, qui voulait occuper les provinces sardes déclarées neutres par le congrès de Vienne[1],

  1. Dans les annexes de l’acte du congrès de Vienne figure un traité entre le roi de Sardaigne, l’Angleterre, la Russie, la Prusse et la France, daté du 20 mai 1815. Voici l’article relatif à la neutralité des provinces sardes : « Art. 8. Les provinces du Chablais et du Faucigny et tout le territoire de Savoie au nord d’Ugine, appartenant à sa majesté le roi de Sardaigne, feront partie de la neutralité de la Suisse telle qu’elle est reconnue et garantie de toutes les puissances. En conséquence, toutes les fois que les puissances voisines de la Suisse se trouveront en état d’hostilités ouvertes ou imminentes, les troupes de sa majesté le roi de Sardaigne qui pourraient se trouver dans ces provinces se retireront, et pourront à cet effet passer par le Valais, si cela devient nécessaire ; aucunes autres troupes armées d’aucune autre puissance ne pourront traverser ni stationner dans les provinces et territoires susdits, sauf celles que la confédération suisse jugerait à propos d’y placer, » etc.