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qui s’est opérée à cette époque dans cette branche importante de l’industrie française. Son frère, Joseph Montgolfier, qui partagea ses travaux et sa gloire, avait comme lui ressenti de bonne heure un goût très vif pour les sciences mathématiques ; mais il avait un genre d’esprit particulier qui l’éloignait des règles et des méthodes de travail habituelles aux géomètres. Dans l’exécution de ses calculs, il s’écartait toujours des voies connues ; il combinait pour lui-même, à l’aide de tâtonnemens empiriques, certaines formules dont il se servait pour résoudre les problèmes les plus difficiles et les plus délicats. Il avait beaucoup moins d’instruction et de savoir que son frère, mais il avait reçu en partage un génie véritablement inventif, quoique marqué au coin d’une certaine bizarrerie. Placé à l’âge de treize ans au collège de Tournon, il n’avait pu se plier aux exigences de l’enseignement classique, et il était parti un matin, décidé à descendre jusqu’à la Méditerranée pour y vivre en ermite le long de la plage. Surpris par la faim dans une métairie du Bas-Languedoc et ramené au collège, il avait réussi à s’enfuir une seconde fois et à gagner la ville de Saint-Etienne. Arrivé là, il s’était enfermé dans un misérable réduit, et, en fabriquant du bleu de Prusse et quelques autres sels employés dans les arts, il avait pu se procurer assez d’argent pour se rendre à Paris. Joseph Montgolfier trouva installées au café Procope toute la littérature et toute la science du temps, et c’est là qu’il noua diverses relations qui exercèrent sur lui une heureuse influence. Son père l’ayant aussi rappelé à son tour, il revint à Annonay pour participer aux travaux de la fabrique. Il put dès-lors donner carrière à toute l’ardeur de son imagination ; mais ses idées étaient si hardies et si nouvelles, que l’esprit d’ordre et d’économie de la maison s’en effraya à bon droit ; on dut bien des fois contenir cette ardeur en de plus sages limites. En effet, l’humeur entreprenante dont l’avait doué la nature avait besoin d’être rectifiée et contenue par une pensée plus calme et plus méthodique : il trouva chez son frère les qualités qui lui manquaient. Si différentes par leurs allures, ces deux intelligences étaient cependant presque indispensables l’une à l’autre. Des ce jour, il s’établit entre les deux Montgolfier cette communauté d’existence, cette double vie intellectuelle qui seule fait comprendre leurs travaux et prépara leurs succès.

La ville d’Annonay est située en face des Hautes-Alpes, et de la manufacture des frères Montgolfier on voyait se dérouler à l’horizon toute la chaîne de ces montagnes. Le spectacle de la production et de l’ascension des nuages, qu’ils voyaient chaque jour se former sur le flanc des Alpes, les amena bientôt à méditer sur les causes de la suspension et de l’équilibre de ces masses énormes qui se promènent dans les cieux ; mais l’esprit inventif des deux frères ne pouvait s’en tenir à des