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des Rosiers, qui était à l’avant de la galerie et par conséquent sous le vent, s’embarrassa dans les toiles et demeura quelque temps comme enseveli sous les plis de la machine, qui s’était abattue de son côté. Était-ce là un présage et comme un sinistre avertissement du sort qui lui était réservé ? La machine fut repliée, mise dans une voiture et ramenée dans les ateliers du faubourg Saint-Antoine. Les voyageurs n’avaient ressenti, durant le trajet, aucune impression pénible ; ils étaient tout entiers à l’orgueil et à la joie de leur triomphe. Le marquis d’Arlandes monta aussitôt à cheval et vint rejoindre ses amis au château de la Muette. On l’accueillit avec des pleurs de joie et d’ivresse. Parmi les personnes qui avaient assisté aux préparatifs du voyage, on remarquait Benjamin Franklin ; on aurait dit que le Nouveau-Monde l’avait envoyé pour être témoin de cet événement mémorable. C’est à cette occasion que Franklin prononça un mot souvent répété. On disait devant lui : « À quoi peuvent servir les ballons ? — À quoi peut servir l’enfant qui vient de naître ? » répliqua le philosophe américain.

Le but que Pilâtre des Rosiers s’était proposé dans cette périlleuse tentative était ayant tout un but scientifique. Il fallait, sans plus tarder, s’efforcer de tirer parti, pour l’avancement de la physique et de la météorologie, de ce moyen si brillant et si nouveau d’expérimentation ; mais on reconnut bien vite que l’appareil dont Pilâtre s’était servi, c’est-à-dire le ballon à feu ou la montgolfière, comme on l’appelait déjà, ne pouvait rendre, à ce point de vue, que de médiocres service. En effet, le poids de la quantité considérable de combustible que l’on devait emporter, joint à la faible différence qui existe entre la densité de l’air échauffé et la densité de l’air ordinaire ne permettait pas d’atteindre de grandes hauteurs. En outre, la nécessité constante d’alimenter le feu absorbait tous les momens des aéronautes, et leur ôtait les moyens de se livrer aux expériences et à l’observation des instrumens. On comprit dès-lors que les ballons à gaz hydrogène pouvaient seuls offrir la sécurité et la commodité indispensables à l’exécution des voyages aériens. Aussi, quelques jours après, deux hardis expérimentateurs, Charles et Robert, annonçaient par la voie des journaux, le programme d’une ascension dans un aérostat à gaz inflammable. Ils ouvrirent une souscription de 10,000 francs pour un globe de soie devant porter deux voyageurs, lesquels s’enlèveraient à ballon perdu, et tenteraient en l’air des observations et des expériences de physique. La souscription fut remplie eu quelques jours.

Le voyage aérien de Pilàtre des Rosiers et du marquis d’Arlande avait été surtout un trait d’audace. Sur la foi de leur courage et sans aucune des précautions les plus naturelles, ils avaient accompli des entreprises les plus extraordinaires que l’homme ait jamais exécutées :