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L’Angleterre n’avait pas encore eu le spectacle d’une ascension aérostatique. Le 14 septembre 1784, un Italien, Vincent Lunardi, fit à Londres le premier voyage aérien qui ait eu lieu au-delà de la Manche, son exemple fut bientôt suivi avec empressement à Oxford par un Anglais devenu célèbre depuis comme aéronaute, M. Sadler. M. Sheldon, membre distingué de la Société royale de Londres, fit, de son côté, une ascension en compagnie de Blanchard.

Enhardi par le succès de ses premiers voyages, l’aéronaute français conçut alors un projet dont l’audace, à cette époque de tâtonnemens pour la science aérostatique, pouvait à bon droit être taxée de folie ; il voulut franchir en ballon la distance qui sépare l’Angleterre de la France cette traversée miraculeuse, où l’aéronaute pouvait trouver mille fois la mort, ne réussit que par le plus étrange des hasards et par ce seul fait, que le vent fut sans variations sensibles pendant trois heures. Blanchard, plein de confiance dans un appareil de direction qu’il avait imaginé, avait annoncé sa prochaine traversée dans les journaux anglais, et un Américain, le docteur Jeffries, s’était offert pour l’accompagner. Le 7 janvier 1785, le ciel était serein ; le vent, très faible, soufflait de nord-nord-ouest ; Blanchard, accompagné du docteur Jeffries, sortit du château de Douvres et se dirigea vers la côte. Le ballon fut rempli de gaz, et on le plaça à quelques pieds du bord d’un rocher escarpé, d’où l’on aperçoit le précipice décrit par Shakspeare dans le Roi Lear. À une heure, le ballon fut abandonné à lui-même ; mais, le poids se trouvant un peu lourd, on fut obligé de jeter une quantité considérable de lest, et les voyageurs partirent munis seulement de trente livres de sable. Le ballon s’éleva lentement et s’avança vers la mer, poussé par un vent léger. Les voyageurs eurent alors sous les yeux un spectacle que l’un d’eux a décrit avec enthousiasme. D’un côté, les belles campagnes qui s’étendent derrière la ville de Douvres présentaient un spectacle magnifique ; l’œil embrassait un horizon si étendu, que l’on pouvait apercevoir et compter à la fois trente-sept villes ou villages ; de l’autre côté, les roches escarpées qui bordent le rivage, et contre lesquelles la mer vient se briser, offraient par leurs anfractuosités et leurs dentelures énormes le plus curieux et le plus formidable aspect. Arrivés en pleine mer, ils passèrent au-dessus de plusieurs vaisseaux. Cependant, à mesure qu’ils avançaient, le ballon se dégonflait un peu, et à une heure et demie il descendait visiblement. Pour se relever, ils jetèrent la moitié de leur lest ; ils étaient alors au tiers de la distance à parcourir et ne distinguaient plus le château de Douvres : le ballon continuant de descendre, ils furent contraints de jeter tout le reste de