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D’autres partisans plus heureux avaient échappé aux désastres de Calderon ; quelques-uns même étaient arrivés au pouvoir ; mais combien de soldats obscurs, combien de héros ignorés avaient péri dans la foule ! Au moment où cette triste pensée s’offrait à mon esprit, le soleil était près de se coucher. Le murmure du torrent, le frémissement des hautes herbes agitées par le vent, toutes les mélancoliques rumeurs de la solitude m’arrivaient plus tristes, plus solennelles encore que de coutume. Je sentis le besoin de secouer les pénibles impressions qui m’obsédaient, et je repris le chemin de mon hôtellerie.

La cabane que j’avais laissée déserte, il y avait une heure à peine, s’était rapidement peuplée pendant mon absence. Une demi-douzaine de dragons mexicains, aisément reconnaissables à leur uniforme rouge et à leur manteau jaune, avaient attaché leurs chevaux au tronc du gommier chargé de croix de bois, et, tandis que la dent de leurs montures essayait d’enlever à l’arbre desséché quelques débris d’écorce, les cavaliers se reposaient en buvant sur le seuil de l’hôtellerie. Le flanc poudreux et fumant des chevaux attestait qu’ils avaient fourni une longue traite. Ces hommes à la figure basanée et au costume éclatant formaient un groupe pittoresque. Il me semblait que la plaine déserte de Calderon venait de rendre à la vie quelques-uns des sauvages guerriers dont elle avait été le tombeau.

— Nous avons donc six convives de plus ? dis-je à l’hôte en rentrant dans la cabane. Ma question trahissait une inquiétude qu’expliquait mieux encore le regard que je jetai sur la table, où rien n’indiquait encore les apprêts du souper.

— Eh ! non, seigneur cavalier, répondit l’hôte. Ces dragons laissent souffler leurs chevaux, et ils se remettront en route avant une demi-heure pour la barranca del Salto, où ils vont dormir, si toutefois on peut reposer dans cet endroit maudit.

L’hôtelier accompagna ces derniers mots d’un signe de croix. Pour la première fois, je surprenais au Mexique une de ces superstitions si communes dans nos pays, et j’allais hasarder à ce sujet quelques questions, quand une voix forte détourna l’attention du maître de la cabane. Presque en même temps un voyageur impatient ouvrit la porte, et poussa jusque dans la hutte un robuste cheval noir comme l’ébène. — Holà ! patron, n’avez-vous pas quelques provisions en réserve pour un voyageur affamé ?

Je tournai vers ce visiteur inattendu le même regard contrarié que j’avais jeté sur les six dragons. À la lueur du fourneau qui éclairait la cabane, je pus reconnaître un homme de cinquante ans environ, grand et vigoureux, à la peau brune, aux yeux vifs et brillans ; de longues moustaches remontaient jusqu’à ses oreilles ; une cicatrice, mal cachée par les bords de son chapeau, s’étendait de son œil gauche jusqu’à son