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de grandes rapières aux poignées étincelantes appendus aux murailles complétaient la décoration de la salle. Le jeune amphitryon, qui tenait une guitare, la remit à l’une des femmes pour s’avancer vers son oncle et vers moi.

— Soyez le bienvenu, me dit-il, et recevez mes remerciemens d’avoir bien voulu vous rendre à mon invitation. Si j’avais eu le temps, j’aurais eu le plaisir d’aller vous la porter moi-même.

J’avais à peine répondu à ce compliment, débité avec un air de parfaite aisance, quand on vint nous dire que le souper était servi. La nation mexicaine est si sobre, qu’on peut dire que la gastronomie est chez elle à l’état d’enfance. Je fus donc très surpris de l’aspect que présentait la table sur laquelle était dressée une argenterie nombreuse, quoique disparate. Deux surtouts couronnés de fleurs artificielles excitèrent l’admiration de la compagnie.

— Il n’y a que don Faustino pour faire si galamment les choses, dit une des femmes qu’on appelait la Tapatia en lançant au jeune neveu de don Ruperto un regard de sa noire prunelle plus étincelante que les paillettes d’acier de l’éventail qu’elle faisait jouer devant ses yeux.

— C’est un souvenir du dernier bal du gouverneur auquel j’assistais, reprit don Faustino. J’ai tâché d’imiter le mieux possible le souper que nous donna son excellence.

La chère en effet était délicate, et, à ma grande surprise, attestait que la cuisine mexicaine s’était, cette fois, inspirée des traditions de l’école française.

— Que dites-vous du souper ? me dit don Ruperto, à côté de qui j’avais été placé ; cela vaut-il la poule que j’ai eu l’indignité de vous laisser manger seul à Calderon ?

— On mangerait une poule centenaire avec de pareilles sauces, répondis-je au capitaine.

Le maître d’hôtel, en habit noir et en cravate blanche, qui allait et venait dans la salle, sourit en m’entendant faire cet éloge. Il comprit sans doute que j’étais le seul étranger parmi les convives.

— Monsieur est bien bon, me dit-il en français à l’oreille. Monsieur sait-il par hasard en quelle compagnie il se trouve ?

— Ma foi non, repris je, et je ne m’en inquiète guère.

Le maître d’hôtel s’éloigna, appelé par les besoins de son service. J’avais reconnu en lui un compatriote, et l’ordonnance parfaite du souper confié à ses soins aurait suffi au besoin pour me révéler son origine toute parisienne. Quant au sens mystérieux de la question qu’il m’avait adressée, je ne m’en préoccupai nullement ; je me contentai d’admirer le contraste qu’offraient autour d’une table servie à la française ces rudes cavaliers aux riches costumes, et qui, pour la plupart,