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mangeaient avec les doigts de la main droite en tenant dans leur main gauche une inutile fourchette.

Tous les usages mexicains étaient oubliés ce soir-là ; on but largement des vins capiteux, et chacun but dans son verre : double dérogation aux habitudes du pays, qui sont de ne boire que de l’eau après le repas et dans un verre commun ; au dessert même, on servit du vin de Champagne. Le souper tirait à sa fin, quand, sur un signe du jeune amphitryon, on apporta, dans une corbeille de joncs de Guayaquil, des couronnes d’œillets et de jasmins blancs.

— Est-ce encore un souvenir du bal du gouverneur que ces couronnes de fleurs ? demanda l’une des femmes à don Faustino.

— Oui, linda mia, répondit le jeune homme, mais c’est un raffinement. Son excellence, à la fin du souper, fit apporter d’énormes corbeilles de fleurs, pour que chacune des femmes qui se trouvaient chez lui recommençât le bal parée d’un bouquet frais. Quant à moi, j’ai pensé, mes belles, que vous me sauriez gré d’orner vos noirs cheveux de ces guirlandes rouges et blanches : au lieu d’un bouquet, c’est une couronne que j’offre aux charmantes danseuses qui ne refuseront pas, je l’espère, de se rendre à l’appel de ma guitare.

En disant ces mots, don Faustino se mit à accorder l’instrument qui allait servir d’orchestre : les trois femmes acceptèrent de très bonne grace les couronnes dont les fleurs éclatantes s’accordaient merveilleusement avec leurs noires chevelures ; elles resserrèrent autour d’une taille souple et fine leur ceinture de crêpe de Chine à frange d’or ; les jupons courts de soie ondulèrent sur les larges hanches des danseuses, et, la tête haute, le corps cambré, les castagnettes frissonnantes sous leurs doigts, elles attendirent les premières notes du musicien. Lente d’abord comme la musique, la danse ne tarda pas à s’animer, et bientôt les blanches fleurs des couronnes tombèrent une à une, comme les perles d’une odorante rosée. Le cliquetis précipité des castagnettes, les parfums pénétrans des bouquets effeuillés, les œillades voluptueuses, ne tardèrent pas à pousser jusqu’au délire l’enthousiasme des spectateurs, déjà exaltés par les vins de France, et la fête semblait près de dégénérer en orgie quand un domestique vint annoncer qu’un sous-officier de dragons, se disant attendu, voulait entrer.

Caramba ! s’il est attendu, je le crois bien ! s’écria don Faustino en jetant son instrument ; c’est l’intermède du spectacle. Qu’il entre, Joaquin.

Le domestique obéit, et quelques secondes après le cabo que j’avais déjà vu dans la plaine de Calderon et sous les ombrages de l’Alameda pénétra dans la salle en jetant autour de lui des regards étonnés. Pardon, dit-il, mais je crains de m’être trompé.

— Qui cherchez-vous ? demanda d’une voix brusque l’un des convives,