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marchandises. Quand on en eut rassemblé autant qu’il en pouvait tenir dans un grand canot, on descendit une embarcation à la mer, et les matelots commencèrent à la charger.

Sur ces entrefaites, on vint nous prévenir, Albino et moi, que le docteur nous priait d’aller le rejoindre dans la cabine. Nous nous rendîmes à l’invitation qui nous était faite. Nous entrâmes le chapeau à la main. Le docteur était assis vis-à-vis de l’homme vêtu de noir autour d’une table chargée de papiers cachetés de cire rouge. Nous prîmes place sur des tabourets, à quelque distance de la table.

— Écoutez, mon fils, me dit le docteur, et sachez enfin à présent quelle espèce de vengeance nous pouvons mettre à votre disposition… Je vous écoute maintenant, monsieur, continua-t-il en s’adressant à l’étranger.

J’étais tout oreilles, car j’allais enfin apprendre le but de toutes nos évolutions de la journée. Le Français prit la parole, et d’une voix grave et solennelle et en fort bon espagnol : « Seigneur prêtre, dit-il en s’adressant au docteur, j’ai l’honneur de vous répéter, pour que ces braves gens l’entendent, que je suis envoyé, par sa majesté l’empereur et roi Napoléon le Grand, à l’effet d’offrir aux peuples d’Amérique qui, depuis trois cents ans, sont esclaves de l’Espagne, l’émancipation et l’indépendance. Il est temps que le Mexique secoue le joug qui pèse si lourdement sur lui. Pour arriver à ce but, sa majesté m’autorise à promettre, en son nom, aux chefs du grand mouvement qui émancipera les deux Amériques, les secours nécessaires en hommes et en argent pour mener à bien cette généreuse entreprise. Ces papiers que vous avez examinés prouvent l’authenticité du caractère dont je suis revêtu ; ces traités que voici (et l’envoyé mit sous les yeux du docteur d’autres papiers), contractés avec les plus riches maisons des États-Unis de l’Amérique du Nord, vous prouvent également l’efficacité des promesses de sa majesté. »

J’avoue que j’écoutais sans les comprendre ces mots d’indépendance et de liberté, et que je ne me rendais pas compte des avantages qui pourraient résulter d’une révolte contre l’Espagne. L’agent français parut s’apercevoir que le contrebandier ne le comprenait guère plus que moi, car il ajouta : « L’indépendance de votre patrie amènera avec elle d’incalculables avantages matériels. L’argent que vous retirez de vos mines au prix de tant de dangers et de fatigues est, chaque année, transporté en Espagne sans qu’il en reste rien dans votre pays. Ces immenses richesses seront votre partage quand vos maîtres ne vous les enlèveront plus. Vos terres sont fertiles, et à peine vous permet-on d’en tirer parti ; la vigne, l’olivier, le lin, le safran, qu’on vous a interdit jusqu’à ce jour de cultiver en Amérique, afin de laisser aux cultivateurs d’Espagne les bénéfices qu’ils en retiraient, ajouteront