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images qui passaient dans son esprit troublé. Elle n’était pas faite pour les passions ardentes, qui sont le danger et la gloire des âmes courageuses. Il lui fallait pour vivre un abri paisible et des affections tranquilles, quoique profondes.

Jean resta quelques jours à la ferme, se remettant avec courage aux travaux que son absence avait interrompus ; puis un nouveau signal l’appela près de son chef, il reprit son fusil et quitta encore une fois sa mère et sa sœur.

De ce moment, la vie de Renée devint celle de toutes les femmes ou mères des Vendéens ; elle se passa à attendre son fils, à prier pour lui. à travailler autant que ses forces le lui permettaient pour remplacer la vigoureuse assistance du chef de famille, et à écouter ses récits, lorsqu’il revenait, avec un intérêt, une ardeur, qui faisaient passer dans son ame toutes les passions inséparables des discordes civiles. Cependant un cruel obstacle vint bientôt interrompre les relations incertaines, mais suivies, qui existaient entre les Vendéens et leurs familles. Machecoul fut occupé par les troupes républicaines, des détachemens s’établirent dans les environs, et un soldat vint loger chez Renée. Les Vendéens avaient été repoussés, après plusieurs combats, jusque dans le voisinage des étangs de Saint-Étienne de Mer-Morte, et n’osaient plus s’aventurer du côté de Machecoul.

Ce fut alors que l’inquiétude et la douleur de Renée devinrent intolérables. Ne plus revoir son fils, se trouver privée de ses nouvelles et recevoir chez elle, à son foyer, à sa table, un de ces bleus détestés, ennemis du roi, de la religion et de Jean, c’était plus que son ame ardente n’en pouvait supporter. Néanmoins, sentant sa faiblesse, tremblant pour sa fille et réservant la fuite pour sa dernière ressource, elle dévora en silence son chagrin et la honte de son ame, et courba la tête sous cette nouvelle affliction, en appelant de tous ses vœux une prompte délivrance.

Cependant le soldat ainsi imposé à la ferme de la Jaguerre ne méritait point toute cette répulsion et toute cette terreur. C’était un pauvre jeune homme récemment enlevé lui-même d’une ferme de Normandie. Sa figure était douce et agréable, son caractère gai et obligeant. Loin de chercher à profiter de l’effroi qu’il inspirait et d’accabler ses nouveaux hôtes de menaces et d’exigences, il semblait désirer de se faire pardonner sa présence en diminuant la gêne qu’il causait. Assis dans le coin le plus éloigné du feu, sur l’escabeau le moins commode, il resta, pendant toute la soirée du jour de son arrivée, dans un silence complet, n’osant qu’à la dérobée jeter un coup d’œil rapide sur le visage sévère de son hôtesse et la figure charmante et effrayée de Marie, pendant que toutes deux faisaient tourner leurs fuseaux sans le regarder. La mère pensait avec amertume que son fils