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et de bonne humeur qui lui était habituel, et son visage gagna un agrément nouveau en se dépouillant de l’air de timidité souffrante qu’il avait eu jusque-là. Lorsque le repas de midi interrompit le travail et réunit tout le monde au bord du champ sur l’herbe verte, Étienne était redevenu paysan et bon compagnon. Sa tranquillité d’ame gagna ceux qui l’entouraient. On commença à causer, sinon gaiement, du moins amicalement, et les préventions s’effacèrent dans ce rapprochement inattendu.

Étienne travailla tout le jour avec Renée et sa fille ; il retourna avec elles à la ferme, et, quoique l’intimité ne fût pas grande encore entre eux, la sombre défiance du soir précédent était en partie disparue et n’accablait plus de son poids terrible l’esprit affectueux du pauvre conscrit. À partir de ce moment, chaque jour abattit quelque barrière entre les deux paysannes et leur hôte obligé. Marie faisait sans cesse à sa mère l’éloge d’Étienne. Renée elle-même, ne pouvant long-temps entretenir une haine aveugle, reconnaissait toutes les qualités du jeune soldat : elle le traitait avec douceur, presque avec bienveillance ; mais, lorsqu’elle le voyait travailler dans les champs ou se charger à la maison des soins de surveillance réservés ordinairement au chef de famille, un sentiment amer s’élevait dans son cœur. Elle comprenait qu’elle était seule à l’éprouver, elle se le reprochait quelquefois comme une ingratitude, et elle ne pouvait l’étouffer.

L’indifférence de Marie pour l’absence de son frère blessait et étonnait Renée. Marie avait retrouvé la gaieté joyeuse naturelle à son caractère. La guerre, les inquiétudes de sa mère, le départ de son frère, avaient étendu un voile sombre sur sa jeunesse ; mais depuis l’arrivée d’Étienne il semblait qu’un souffle du vent eût écarté ce nuage en emportant toutes ses craintes et ses tristesses. Le matin, lorsqu’elle parcourait les sentiers humides et parfumés de rosée, elle chantait, comme au temps de la paix, un de ces airs naïfs dont le refrain, toujours le même, acquiert parfois un charme tout particulier, quand il est répété par une douce voix au milieu de la campagne. Marie gazouillait légèrement ainsi ; son pas élastique s’imprimait à peine sur la terre ; elle portait facilement la vie, et sa jeune imagination remplaçait les tableaux trop réels de souffrance et de misère qui l’entouraient par de vagues espérances de bonheur, qui lui venaient de Dieu ou de son cœur. Étienne la regardait marcher dans sa grâce et sa beauté de vingt ans avec une timide admiration. D’autres fois, triste et craintif, il n’osait s’approcher d’elle ; il tremblait en lui parlant, il baissait les yeux devant Renée, se sentait plus intimidé que jamais en sa présence, et n’en faisait pas moins tous ses efforts pour obtenir son amitié.

Cependant Étienne n’avait pas tardé à comprendre la véritable position du fils de Renée et l’obstacle qu’il opposait aux visites de Jean à