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bras de Salace ; seront toujours, aux yeux d’un goût sévère, une déplorable invention. Quoique l’amour sincère soit digne de respect, il est impossible de ne pas voir dans cette scène de mélodrame une véritable profanation. Ces mains jointes pour la prière et qui s’ouvrent pour étreindre une main ardente n’offrent à l’esprit rien de vraiment poétique. L’amitié même de Régina pour Clotilde serait plus vraie, si l’auteur, pour la peindre, eût appelé à son secours des couleurs moins vives. L’amitié de ces deux jeunes filles, telle qu’il nous la montre, loin de lutter de grace et de candeur avec la mutuelle affection de Mina et de Brenda, se confond trop souvent avec l’amour. Les baisers que Régina prodigue aux tresses dénouées de Clotilde, l’admiration qui enflamme toutes ses paroles, conviendraient mieux à l’amour qu’à l’amitié.

Les promenades enivrées de Salace et de Régina sous les ombrages de la villa Pamfili sont racontées avec éloquence. Pourquoi faut-il qu’ici encore le goût soit blessé par un détail étrange ? La grand’mère et la nourrice, qui restent dans la calèche et attendent les deux amans, loin d’ajouter à l’intérêt poétique, nous ramènent à la réalité la plus vulgaire. Qu’une mère ferme les yeux sur la faiblesse de sa fille, le lecteur le conçoit sans peine ; mais qu’elle fasse le guet, qu’elle se pose en sentinelle tandis que sa fille se livre tout entière à sa passion, une pareille complaisance, qui peut bien se rencontrer, sera toujours d’un fâcheux effet. Il n’y a guère que la nourrice qui puisse se charger d’un tel rôle.

L’enlèvement de Régina n’est pas raconté aussi simplement que je le voudrais. Le travestissement de Saluce, acceptable tout au plus pour le départ, est un non-sens au retour. S’il a raison de se déguiser pour sortir de Rome avec Régina et l’emmener dans un chariot de paysan, il est impossible d’admettre qu’il revienne seul à Rome sans reprendre les vêtemens qui lui appartiennent. S’il avait résolu de se faire arrêter, il ne s’y prendrait pas autrement. Il y a dans tout cet épisode quelque chose de théâtral qui attiédit singulièrement l’émotion.

L’attendrissement de l’ami de Saluce suspendu aux lèvres de Régina semble menacer d’un prochain oubli la femme qu’il a tant aimée, tant pleurée. Si l’image de Saluce ne se plaçait entre eux, le lecteur sent bien que le cœur du poète s’ouvrirait à un nouvel amour. Cette crainte s’efface bien vite, et le narrateur revient tout entier à la douleur de Régina Le procès s’engage à Rome. Pour que Régina soit libre, il faut que Saluce consente à s’éloigner et prenne l’engagement de quitter pour long-temps l’Italie. À cette condition, le mari de Régina promet de ne jamais réclamer ses droits, de la laisser près de sa mère. Que Saluce quitte l’Italie et que Régina revienne à Rome, telle est la transaction que proposent les hommes de loi. Cruel dénouement