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pour ces poétiques amours ! Saluce accepte le marché et renonce à Régina. Assurément, la résolution de Saluce semblera très sage à tous les esprits pour qui la passion n’est qu’une chose éphémère et sans importance. Il y a -même, dira-t-on, dans sa conduite, une sorte de générosité : il renonce à Régina pour lui laisser la richesse et l’éclat d’un grand nom. Tout cela est fort sensé assurément, s’il prévoit qu’un jour il cessera d’aimer Régina ; mais, s’il doutait de lui-même, il ne devait pas enivrer d’amour la femme qui se donnait à lui tout entière, qui abandonnait son cœur à l’espérance d’un bonheur infini. Il est trop tard maintenant pour se montrer généreux : il fallait débuter par la franchise. Régina est libre ; elle attend l’homme qu’elle aime, à qui elle a confié sa vie. Pour elle, Saluce est le monde entier. Que son amant gagne ses geoliers, qu’il s’échappe du château Saint-Ange, et Régina ne regrettera pas la richesse qu’il lui faudrait payer de son bonheur. Je comprends donc très bien la colère de Régina lorsqu’elle apprend la résolution de Saluce. Je l’admire et je l’aime quand elle l’accuse de cruauté, de lâcheté. Elle devine trop sûrement qu’il y a dans sa conduite plus de faiblesse encore que de vraie générosité. Il l’a aimée tant qu’il pouvait s’abandonner librement à sa passion, ou plutôt il s’est laissé aimer tant que son bonheur ne rencontrait aucune résistance. Maintenant que l’amour n’est plus un bonheur, mais un tourment, il est saisi de pitié pour lui-même et renonce à Régina, pour retrouver la vie facile, la vie indépendante qu’il avait perdue. Cruauté, lâcheté ! elle ne se trompe pas. La colère a déchiré le bandeau qui lui cachait la lumière. Elle se croyait aimée d’un amour infini, d’un amour qui devait défier toutes les épreuves ; elle reconnaît trop tard son aveuglement. Sa fidèle nourrice maudit comme elle l’homme à qui elle a donné son cœur, et qui n’a pas le courage de le garder.

Si Régina, au début du récit, nage dans des flots de lumière, qui permettent à peine de la prendre pour une créature faite de chair et de sang, si l’auteur, en essayant de nous peindre sa beauté, nous emporte trop souvent dans les régions de la pure rêverie, si notre œil a peine à saisir les formes éthérées de ce personnage qui n’a de la femme que le nom, Régina, au dénouement, prend victorieusement sa revanche. Malgré sa naissance, elle aime en vraie Transteverine ; elle ne comprend pas l’abandon qui veut s’appeler générosité. Le cri de la passion rachète à mes yeux toute l’indécision des premières pages ; il y a dans la douleur, dans la colère de Regina, autant de honte que de regret. Elle rougit de l’homme qu’elle a choisi, qui ne méritait pas son amour ; elle rougit de n’être plus aimée. Cette liberté que Saluce lui rend, cette richesse qu’il lui renvoie en échange du bonheur, sont pour elle de mortelles offenses. C’est pourquoi j’accepte sans réserve la colère de Régina ; je regrette seulement que la conduite de Saluce