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rappelle d’une manière trop frappante la conduite de son ami à la Mergellina. Régina est abandonnée comme Graziella ; la fille du pêcheur et la princesse romaine sont traitées avec la même cruauté dans le cœur de Saluce comme chez l’auteur des Confidences, l’égoïsme a parlé plus haut que l’amour.

M. de Lamartine, en commençant ses Nouvelles Confidences, a cru devoir répondre aux reproches sévères qui lui avaient été adressés. Comme je suis au nombre de ceux qui ont blâmé le caractère de ses premières Confidences, je suis bien obligé de m’attribuer une part de sa réponse et d’en discuter les termes et la valeur. J’ai dit que les sentimens intimes du cœur ne méritent pas, à mes yeux, moins de respect que les vignes, les prés et les forêts transmis par héritage. J’ai dit qu’exposer au grand jour, raconter heure par heure, toutes ses affections, toutes ses souffrances pour sauver la terre où l’on a vécu, peut à bon droit s’appeler une profanation. À ce reproche, que je crois très fondé, que répond M. de Lamartine ? Il établit entre le public et ses amis une différence très subtile qui ferait honneur aux casuistes les plus consommés. Devant le public, être collectif, impersonnel, inconnu, il est permis de tout dire. Bien que la foule se compose de créatures intelligentes capables de comparer leurs émotions individuelles avec les émotions dont elles lisent le récit, M. de Lamartine soutient que la pudeur du cœur n’est pas un devoir devant la foule ; il va plus loin : à son avis, tout homme qui parle devant la foule, qui parle de lui-même, de ses amis, des femmes qu’il a chéries, qu’il a quittées, ne peut jamais se rendre coupable d’indiscrétion. Ainsi la parole recueillie par des milliers d’oreilles est une parole morte, une parole adressée aux vagues de l’Océan, que le vent emporte et balaie, une parole sans écho ; se confesser devant la foule, c’est converser avec soi-même ; qui oserait se plaindre ? qui oserait blâmer l’impudeur du pénitent ? La foule n’est personne, parce que la foule est tout le monde. Ah ! s’il s’agissait de parler devant un ami, devant trois auditeurs à visage connu, la franchise, poussée jusqu’à ses dernières limites, ne serait pas seulement une faute, mais un crime. Raconter notre vie à ceux qui ont vu les personnages du récit, c’est une action que la morale ne saurait amnistier ; dévoiler devant la foule, offrir à sa curiosité toutes les plaies de notre cœur, c’est une action indifférente, qui défie le blâme, qui ne peut blesser personne.

Telle est en peu de mots la théorie imaginée par M. de Lamartine pour sa justification. Je me suis efforcé de la reproduire dans toute sa crudité. Je ne crois pas avoir besoin de montrer tout ce qu’elle a de puéril. La distinction établie par M. de Lamartine peut se comparer aux distinctions combattues par Pascal dans ses Provinciales : il n’y a là rien de sérieux, rien qui mérite une réfutation. Affirmer que l’indiscrétion