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rage, et par des portes tendues de deuil ; moi, c’était le printemps qui me montrait sa route dans le pré, dans la forêt, sur la croupe des montagnes.

« Tout à coup la voilà qui parait radieuse au milieu de nous ; la voilà pure, magnifique, aussi puissante que l’ouragan, aussi douce et aussi riche d’espérances qu’un rayon de soleil printanier.

« Oh ! qu’il était doux de la voir ! Oh ! quel charme de la reconnaître ! Une seule chose me causait une poignante douleur : cette divine image, tu n’as pu la contempler ; le voile épais de la maladie avait éteint ton regard.

«… Mais la semence du bien fut emportée par les flots. Des flammes furieuses incendièrent le monde. O courte journée où la Liberté s’est montrée pure ! Une journée, ai-je dit ? ah ! quelques minutes à peine.

« Le singe stupide toucha à l’œuvre divine, il prit notre bannière et nos cris de ralliement ; la bêtise humaine s’écria : Et moi aussi, je suis libre ! Le crime s’empara des armes saintes.

« Alors, pénétrée de dégoût, la Liberté s’enfuit de ces lieux abominables. Oh ! puissent un jour les enfans de nos enfans retrouver ses traces disparues ! Toi du moins, au fond de ta nuit sombre, tu as emporté son image grande, pure, complète. Nous, hélas ! à côté de l’éclatante figure, nous apercevons toujours, enchaînée à ses pas, cette odieuse et grimaçante vision. »

Voilà certes de nobles paroles, voilà une douleur sincèrement sentie ; M. d’Auersperg comprend que les révolutions démagogiques de 1848 ont été partout la ruine de la liberté et du progrès. Ce n’est pas assez pourtant de détester le désordre : que veut le poète ? à quelle école de philosophie, à quel système de politique appartient son œuvre ? Ces trois chants contiennent tout un ensemble d’idées sur l’art, le gouvernement et la religion ; le poète Nithard, le duc Otto, le curé Wigand, expriment chacun l’opinion de M. d’Auersperg sur ces grands sujets, et la façon dont il les considère soulèverait assurément plus d’une objection sérieuse. Je résumerai tous les reproches dans un seul. La pensée fondamentale, la pensée qu’on retrouve à chaque page de ce livre, c’est une interprétation absolument fausse de l’idée de gouvernement, c’est une politique indécise et funeste dont les dangers ne sont aujourd’hui que trop clairement démontrés. M. d’Auersperg semble persuadé qu’il n’y a pas de gouvernement meilleur que le gouvernement patriarcal. Dans ce poème comme dans ses productions antérieures, il aime à représenter des rois, des princes, des hommes destinés au commandement, et les vertus qu’il donne à ses héros, les modèles qu’il leur propose, ce sont toujours les vertus propres à la famille, et non les qualités plus fortes, la science plus compliquée et plus haute qui est indispensable à la conduite des états. L’idéal de M. d’Auersperg, c’est un prince comme ce bon duc de Mersebourg qu’il a célébré dans le Niebelung en frac, c’est surtout ce joyeux duc Otto dont le Curé de Kahlenberg nous a tracé l’image.