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effet des commissaires qui parvinrent à conclure un arrangement entre le gouvernement de Fribourg et les imposés. D’après cette convention, la somme à payer reste la même, mais elle est hypothéquée sur les grandes forêts de l’état ; le remboursement se fera par dixièmes annuels, qui commenceront à échoir dans le terme de quinze ans ; il sera bonifié un intérêt annuel de 1 pour 100 pour les cinq premières années, de 1 et demi pour 100 pour les cinq années suivantes, et de 2 pour 100 pour les années ultérieures. À ne fixer le taux de l’intérêt qu’à 4 pour 100, les imposés perdront une somme de plus d’un million sur la différence. Cependant les Fribourgeois se sont soumis à cette transaction léonine ; ils l’ont acceptée, « heureux, comme disait l’un d’entre eux, de voir que la confédération tendait enfin une main charitable à ce malheureux peuple de Fribourg. » Il n’y eut de résistance que de la part des radicaux fanatiques du grand-conseil, qui ne cédèrent qu’aux sérieuses représentations des commissaires fédéraux.

Dans le canton de Lucerne, la minorité radicale, parvenue de même au gouvernement par la chute du Sonderbund, avait agi en partie à l’instar des révolutionnaires de Fribourg. Cependant elle n’était pas allée aussi loin, et plusieurs de ses chefs, tels que l’avoyer Kopp, avaient protesté sans cesse contre des procédés iniques. Dans la Suisse romande, au contraire, les radicaux protestans de Vaud se montrèrent les dignes émules des radicaux catholiques de Fribourg. Le canton de Vaud avait eu en 1845 sa révolution cantonale, qui avait pris pour mot d’ordre principal à bas les jésuites ! Cette révolution se distingua cependant des autres par un élément socialiste-communiste, représenté par plusieurs des chefs du parti révolutionnaire devenus membres du gouvernement. Trois ans avant la révolution de 1848, M. Druey avait proposé à la constituante du petit pays de Vaud d’introduire dans le nouvel acte constitutionnel les dispositions suivantes : « Le travail est sacré ; le travail doit être organisé de manière à être accessible à tous ; tout Vaudois et tout confédéré est tenu au travail, etc. » Quoique sans cesse gêné dans ses tentatives novatrices par le bon sens du peuple, le gouvernement n’en parvint pas moins à faire entrer peu à peu dans la législation un certain nombre d’élémens socialistes-communistes. Il réussit de même à exclure de l’académie de Lausanne, foyer d’idées contraires aux siennes, ses professeurs les plus distingués. Les tendances égalitaires du gouvernement de Vaud se manifestèrent surtout dans les questions religieuses. La majorité des pasteurs, ne se sentant aucune prédilection pour une révolution dont un des mots d’ordre avait été à bas les méthodistes, persécutés de toute manière par les nouvelles autorités[1], avaient eu l’énergie morale de

  1. L’histoire détaillée de ces persécutions se trouve dans un ouvrage du professeur Girard de Bâle : Lettres sur la Crise religieuse du canton de Vaud ; Paris, 1849.