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que l’Angleterre défendait contre lord Byron, c’était, il faut le dire, les deux principaux ressorts de sa vie morale, son patriotisme et sa foi.

Il y eut cependant la part du cant. Le mot est anglais, il faut bien que la chose le soit un peu. Ainsi, que les tories se soient montrés plus scandalisés qu’ils ne l’étaient, et qu’ils aient exagéré le péril des mœurs, rien de plus croyable. Byron était whig. Il y a bien encore une apparence d’hypocrisie dans ce public qui lit l’auteur avec délices et condamne le penseur, commettant le péché de curiosité et s’en repentant aux dépens du poète. L’Angleterre ressemblait à une femme vertueuse qui souffre les propos galans, parce qu’elle est bien sûre de ne pas s’y laisser prendre : il vaudrait mieux fermer les oreilles. Cette contradiction fut relevée dans le temps même par les esprits indulgens, qui en prenaient note, à la décharge de lord Byron. « Nous lui disons sous toutes les formes, écrivait un critique de talent, que le grand et caractéristique mérite de la poésie est dans l’énergique expression des sentimens personnels du poète ; nous l’encourageons à disséquer son propre cour pour notre plaisir ; nous l’invitons à plonger dans les profondeurs les plus reculées de la connaissance de soi-même, à mettre son orgueil et son plaisir dans un examen auquel les autres se dérobent comme à un supplice… et s’il lui arrive d’en dire plus que nous n’en voulons approuver, nous tournons en critique ce qu’il écrit, et nous lui reprochons d’entretenir indécemment le public de ses pensées[1]. » Voilà un curieux témoignage des dispositions de la société anglaise. Individuellement, on trouvait que lord Byron n’en disait pas trop ; chacun était flatté de sa confession comme d’un secret dit tout bas à une oreille choisie ; comme société, on s’en scandalisait. J’aimerais mieux une conduite plus conséquente ; il est vrai qu’elle eût demandé une nation de saints.

Il faut bien le dire, un certain air d’hypocrisie, de tant, pour rester dans le terme anglais, peut rendre suspectes à première vue les vertus mêmes de la société anglaise. Le devoir n’y a pas la grace d’un mouvement volontaire. Il y paraît moins l’acte d’un être libre que l’accomplissement d’une prescription d’ordre public ou l’imitation d’un usage général. Et comme la société est divisée en classes, la soumission de l’individu à la société ressemble un peu au mot d’ordre d’une coterie ou à la discipline intéressée d’une caste qui défend ses privilèges. Pourtant le principe de cette soumission n’est autre que la puissance des mœurs publiques, lesquelles ne sont nulle part plus fortes ni plus uniformes que chez les nations politiques. Même dans les vertus privées, après ce qui appartient à l’individu, on y reconnaît ce qu’on donne à l’exemple ; il y a ce qu’on fait volontairement et ce qu’on fait

  1. Note de M. Lockart sur des vers de lord Byron relatifs à une maladie de sa femme.