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sur les modes sautées. Croyez, madame, qu’il y a encore de quoi employer son temps, sa fortune, son esprit et son cœur, et je ne vous dis pas le plus beau, je l’ai gardé pour la fin.

LA BARONNE.

Voyons votre plus beau, monsieur.

LE COMTE.

Madame, c’est le mari.

LA BARONNE.

Vous m’étonnez.

LE COMTE.

On ne sait pas combien ce personnage sacrifié est susceptible d’amendement. Son utilité, personne ne la conteste. Tout méprisé qu’il soit, on fait encore des frais pour se le procurer; mais ce serviteur laborieux, patient, fidèle même, il ne demande qu’à être aimable; oui, madame. Si j’étais femme, je voudrais réhabiliter le mari. Pour peu que l’on consente à ne point l’inquiéter et à ne point le ruiner (c’est beaucoup, j’en conviens), il peut à lui seul tenir lieu de toute une corn-, et il offre cet avantage rare de rester, tandis que lus autres s’en vont. Songez-vous quelquefois à la vieillesse, madame?

LA BARONNE.

Certes j’y songe, et avec déplaisir. Vous n’allez pas me parler de cela !

LE COMTE.

J’y mettrai des ménagemens. Donc, madame, on vieillit, et c’est une triste chose, surtout lorsqu’on voudrait ne pas vieillir. Il n’y a point de fontaine de Jouvence qui puisse replanter un cheveu tombé. On vieillit, on vieillit très vite. La plus grande et solide beauté du monde n’est que la décoration d’un jour de fête; l’air même où elle brille la détruit et l’emporte en lambeaux. Ce charmant visage aura demain une ride, après demain il en aura deux; chaque jour en apporte une et creuse les autres, et il ne se donne pas dans l’orchestre un coup d’archet qui ne vous chasse du bal et de la vie. L’on engraisse ou l’on maigrit d’une manière désobligeante; l’œil s’éteint, la voix se casse, la taille fléchit; la fête enfin est donnée, les étrangers se retirent. Ils se retirent pour jamais, car la fête de la jeunesse est finie pour jamais. Un seul convive demeure, afin de vous aider à ranger la maison. Eh bien ! madame, il faut savoir les perdre, tous ces indifférens qui sont venus à votre fête et pour votre fête mais non pas chez vous et pour vous. Et comment ferez-vous pour ne point regretter leur inexorable absence, si le convive qui demeure est précisément celui que vous n’avez pas aimé? Voilà un joli tête-à-tête que vous aurez su vous ménager, en un instant, pour le reste de vos jours!

LA BARONNE.

Vous évoquez des spectres et vous cherchez à vaincre par la terreur; mais je vous échappe : j’ai résolu de mourir jeune.

LE COMTE.

A quel âge, madame, pensez-vous n’être plus jeune?

LA BARONNE.

Vous parlez breton, comte. Je ne serai plus jeune quand je m’ennuierai.