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dans le plus pur patois des Pyrénées. Étonné, il tourna la tête : c’était un Béarnais qui l’avait appelé, une figure mâle et décidée, tout heureuse de retrouver là le monsieur. Dès qu’il eut reconnu son compatriote, deux coups d’éperon obligèrent l’Apocalypse à traverser la foule, et la main de M. de Laussat serra, non sans une certaine émotion, la main de l’enfant d’un village auprès duquel il avait été élevé. Joyeux et content, ce Béarnais avait une jolie concession dans les jardins de Mascara ; tout lui prospérait, et il fit promettre à M. de Laussat de venir goûter dans sa maison le vin de la récolte.

La maison de la halte se trouve sur la place, au centre de la ville, auprès d’un gros mûrier soigneusement respecté. À peine descendu de cheval, le général commença à tenir cour plénière pour l’expédition des affaires pendant que la musique du régiment jouait ses fanfares, car c’était jeudi, et ce jour-là les douze femmes de Mascara se paraient de toutes leurs parures sous le prétexte d’entendre la musique, et coquetaient du regard avec tous les désoeuvrés de la garnison, qui, le service fini, viennent promener leurs ennuis, fumer leur cigare et : prendre leur verre d’absinthe chez Vivès, pâtissier illustre. Arrivé avec la première colonne d’occupation, sous une tente de toile, Vivès eut ensuite baraque de bois, puis pignon sur rue, et sa fortune marche de pair avec celle de la ville.

« Une pièce fausse est moins fausse qu’un homme des Hachems, » dit le proverbe arabe. Pour ne point faire mentir le dicton, les chefs des Hachems venaient de commettre quelques peccadilles qui avaient fort irrité le général de Lamoricière, et son premier soin fut de traiter cette affaire. Lorsque le chef du bureau arabe lui eut amené les coupables, le général commença par les admonester en arabe avec cette verve et cet entrain qui font de tous ses discours une charge de cavalerie. Il écouta leur réponse, traita à leur juste valeur leurs protestations menteuses, et termina le lit de justice en faisant prendre au corps et conduire en prison séance tenante l’un des caïds, qui parut peu flatté de l’aventure. Puis il s’occupa de la situation des hommes et des choses avec le général Renaud et le commandant Bastoul. Le commandant Bastoul, plus connu de tous ceux qui ont été à Mascara sous le nom de Père Bastoul, est un gros homme aux épaules carrées, au ventre bien établi. Dans sa grosse tête et sous son large front brillent deux yeux pleins de perspicacité et d’énergie ; aussi le nom de père Bastoul ne lui vient-il que de sa bonhomie pleine de malice et de sa réputation de justice et de bon sens établie par maintes décisions devenues célèbres. Commandant de la place et juge sans appel dans bien des cas, il trouvait toujours moyen de renvoyer les plaideurs contens, et sa renommée était si grande, que les Arabes préférèrent souvent recourir à son bon sens plutôt que de s’adresser à leur cadi.