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semblait une usurpation de l’homme sur les décrets de la bonté divine. Dès le 19 octobre 1830, il saisissait avec bonheur la première occasion de proclamer devant la chambre des députés son adhésion au vœu solennel d’humanité qu’elle venait lui apporter. Ses paroles, dans cette circonstance, sont comme le programme fidèle de tout son règne. « Messieurs, dit-il, le vœu que vous m’exprimez était depuis bien long-temps dans mon cœur. Témoin, dans mes jeunes années, de l’épouvantable abus qui a été fait de la peine de mort en matière politique, et de tous les maux qui en sont résultés pour la France et pour l’humanité, j’en ai constamment et bien vivement désiré l’abolition. Le souvenir de ce temps de désastre et les sentimens douloureux qui m’oppriment. quand j’y reporte ma pensée, vous sont un sûr garant de l’empressement que je vais mettre à vous faire présenter un projet de loi qui soit conforme à votre voeu. Quant au mien, il ne sera complètement rempli que quand nous aurons entièrement effacé de notre législation toutes les peines et toutes les rigueurs que repoussent l’humanité et l’état actuel de la civilisation. »

Le roi avait trop compté sur l’efficacité du vœu parlementaire et sur la force de sa propre volonté pour déterminer son ministère à prendre l’initiative dans la question de la peine de mort. D’ailleurs, ce ministère (le premier qui fut formé après la révolution de juillet) comptait alors parmi ses membres M. Laffitte et Casimir Périer ; il allait bientôt se dissoudre par l’impossibilité de concilier plus long-temps des tendances politiques diamétralement contraires. Dès cette époque, le procès des ministres du roi Charles X inquiétait gravement l’opinion, et portait le trouble et l’hésitation dans les ames. Les passions populaires, armées contre M. de Polignac et ses collègues d’une législation sévère que le roi était impuissant à réformer, en appelaient à grands cris l’application rigoureuse.

C’est en vue des graves événemens qui semblaient se préparer que le roi chargea M. Laffitte de former un nouveau cabinet. Si j’évoque ici un souvenir personnel, c’est pour faire pénétrer avec moi le lecteur dans l’intimité de Louis-Philippe et le mettre à même de saisir sur le fait les sentimens qui inspiraient sa politique.

Le général Sébastiani avait été chargé, le 2 novembre 1830, de me proposer le portefeuille de l’intérieur. Un premier refus m’amena bientôt au Palais-Royal, où j’avais été mandé. Le roi me reçut dans le petit salon qui séparait son cabinet du salon d’attente. Madame Adélaïde était près de son frère. J’avais à peine connu le duc d’Orléans avant 1830 ; j’étais donc mal préparé à résister aux séductions de son esprit et de sa raison. Cependant je fis bonne contenance : j’invoquai surtout mon âge, qui ne me permettait même pas de prendre part aux scrutins de la chambre des pairs ; comment pourrais-je délibérer dans le