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du chœur de Santa-Maria-Novella, avait, dans sa manière de traiter la fresque, d’assez notables analogies avec l’auteur inconnu du cénacle de S. Onofrio ; mais si Ghirlandaïo pouvait avoir produit quelques-unes des beautés naïves répandues dans cette composition, était-il raisonnable de lui attribuer cette profondeur et cette justesse de sentiment, cette ordonnance harmonieuse, et surtout cette grandeur, cette poésie de style ? Non certes, et nos deux amis y étaient d’autant moins disposés que, plus ils pénétraient dans leur découverte, plus ils étaient frappés d’une souplesse de dessin et d’une absence complète de parti-pris dont aucun Florentin, y compris les plus illustres, ne pouvait leur donner l’exemple.

Quand ils eurent ainsi bien cherché, et successivement éliminé toutes les hypothèses d’abord conçues par eux, ils commencèrent à n’avoir plus dans la pensée qu’un seul nom, mais un nom qu’ils hésitaient à prononcer, parce qu’il était trop grand. Cependant M. della Porta, se hasardant le premier, dit un jour à son compagnon : « Je pars demain pour Pérouse ; je veux revoir la fresque de San-Severo. »

Ceux qui ont une fois admiré cette œuvre des jeunes années de Raphaël ne peuvent perdre le souvenir de sa majestueuse disposition. On conserve à tout jamais devant les yeux ce Christ dans sa gloire, ces anges qui l’entourent, et dans le bas du tableau ces six figures de saints posées trois d’un côté, trois de l’autre, ordonnance qui contient en germe l’idée première de la Dispute du Saint-Sacrement. Aussi n’était-ce pas pour se remettre en mémoire l’ensemble de cette composition que M. della Porta allait à Pérouse, c’était pour en étudier les détails et particulièrement les procédés d’exécution.

Il revint convaincu que les deux fresques ne pouvaient avoir été tracées que par la même main et vers la même époque. Celle de San-Severo est datée de 1505 : or, Raphaël avait passé à Florence la plus grande partie de cette même année ; il y avait fait d’assez longs séjours dans l’année précédente, et enfin, à partir de 1505 jusqu’au moment de son départ pour Rome, c’est-à-dire jusqu’en 1508, il y fut presque constamment établi. Rien n’empêchait donc de supposer que, vers cette époque, il eût fait pour les religieuses de S. Onofrio, aussi bien que pour les camaldules de San-Severo, un grand essai de travail à fresque ; mais ce n’était là, pour M. della Porta, qu’une raison secondaire à l’appui de sa conjecture. Avant tout, il s’en rapportait au témoignage de ses yeux : toutes les particularités observées par lui à Florence sur cette fresque dont les moindres touches lui étaient devenues familières, il les avait retrouvées à Pérouse, et ainsi s’était fortifiée en lui une conviction qu’avait fait naître, dès le premier regard, l’extrême ressemblance, pour ne pas dire l’identité, entre les deux figures du Christ dans les deux compositions.