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s’effarouchaient pas de la peinture sacrée, et qui accueillirent avec sympathie ce nouveau et brillant Pérugin. Ainsi Tadeo Tadei non-seulement lui ouvrit sa bourse, mais lui offrit sa table et sa maison ; Lorenzo Nasi lui demanda plusieurs tableaux, et le plus riche de tous, mais aussi le plus avare, Agnolo Doni, fit l’effort de lui commander son portrait et celui de sa femme Madelena Strozzi. Ce furent autant de chefs-d’œuvre. Les coteries eurent beau faire, le public se sentit ému, l’enthousiasme survint, et le jeune artiste reçut plus de commandes qu’il n’en pouvait exécuter. Mais ce n’étaient que des tableaux de dimension moyenne, des tableaux de chevalet ; on lui demandait ce qu’il excellait à faire, tandis que lui, dévoré de cette activité qui va toujours en avant, aspirait à un champ plus vaste. Il lui fallait des murailles à couvrir de ses pensées. Quand il vit exposer aux regards du public florentin les immenses cartons de Léonard et de Michel-Ange, il fut pris d’une invincible ardeur d’entrer en lice avec ces deux géans. Une salle restait à décorer dans le palais. Mais comment l’obtenir ? comment aborder cet intraitable gonfalonier ? Quelle que fût sa répugnance à mendier une faveur, la passion l’emporta, et il écrivit à son oncle maternel, Simone Ciarla, qui habitait Urbin, de mettre tout en campagne pour lui procurer une nouvelle lettre de recommandation auprès du gonfalonier[1]. La lettre n’arriva pas ; mais il en vint une autre qui lui ouvrait des perspectives toutes nouvelles et décidait du reste de sa vie. Bramante lui écrivait de Rome qu’il se hâtât d’accourir le pape l’appelait et lui donnait à peindre les murs du Vatican.

Il partit pour la grande cité, encore ferme et bien aguerri contre les séductions qui l’attendaient. Ce séjour de Florence, cette vie de contrainte et d’opposition avait été pour lui une admirable école. Ses facultés avaient pris un développement prodigieux, tout en restant soumises à une ferme discipline. Il savait dans son art tout ce qu’un homme peut savoir ; il était aussi grand peintre qu’il devait jamais l’être, sans que son pinceau eût encore cédé à une fantaisie, ou subi un mauvais exemple. Il n’employait sa puissance qu’à suivre, comme un enfant docile, les voies naturelles de son génie, revêtant d’une forme toujours plus parfaite les saintes pensées dont son ame était pleine. La jeunesse un peu fanatique, mais croyante, au milieu de laquelle il passait sa vie, ne l’avait pas laissé dévier, et ce fra Bartolomeo, dont la cellule était un des lieux favoris de ses récréations, lui avait communiqué quelque chose de sa foi. Telle fut sa déférence aux

  1. « Averia caro se fosse possibile davere una lettera di recomandatione al Gonfalonero di Fiorenza dal S. Prefetto, e pochi di fa io scrissi al Zeo e a Giacomo da Roma me la fesero avere me saria grande utilo per l’interesse de una certa stanza da lavorare, la quale tocha sua signoria de alocare, ve prego se è possibile voi me la mandiate…, etc. » XXI de aprile, MDVIII. (Lettre de Raphaël à son oncle.) Passavant, t. Ier, p. 530.