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autre Sainte Cène que Raphaël, dix ans plus tard, confiait à son burin, cette Sainte Cène plus agitée, plus dramatique, mais moins vraie que celle de S. Onofrio ; vous y retrouvez ce même mouvement de saint Pierre, cette même main, ce même couteau. Et ce n’est pas là le seul emprunt que Raphaël, dans ce dessin, ait fait à notre fresque : regardez la partie inférieure de la figure du Christ, au-dessous de la table ; la draperie est exactement la même dans la fresque et dans la gravure ; les pieds ont exactement la même pose, pieds admirables qui expriment le calme de la divinité, tandis qu’à côté, les pieds de saint Pierre indiquent par leur contraction la bouillante agitation de son ame. Cette observation du vrai portée dans les moindres détails, et jusque dans les parties les moins visibles d’un tableau, bien des peintres, même de premier ordre, s’en préoccupent assez peu ; Raphaël, on le sait, ne la néglige jamais.

Parlerons-nous d’une autre ressemblance non moins frappante, et que nous n’avons fait qu’indiquer plus haut à propos des dessins Michelozzi ? Voyez la tête du saint André, n’est-ce pas identiquement et trait pour trait la tête du David dans la Dispute du Saint-Sacrement ? Où trouver des pièces de conviction plus solides et de meilleur aloi que ces emprunts répétés ? Et notez que ce sont là les plus saillans, mais non pas les seuls : il est une foule d’autres détails, trop subtils pour être indiqués de loin, faciles au contraire à signaler sur place, quand on suit des yeux cette vaste peinture, qui se retrouvent reproduits soit dans des fresques on des tableaux, soit dans des cartons ou de simples dessins du maître. Quand on a fait d’un bout à l’autre cette minutieuse revue, quand on a examiné pas à pas cette muraille, quand on y a reconnu partout la trace de cette main magistrale qui ne peut pas avoir fait deux fois la même chose sans qu’on s’en aperçoive, parce qu’elle n’a rien fait dont le souvenir ait pu s’effacer, alors, fût-on sceptique jusqu’à la moelle des os, on laisse là son scepticisme. Aussi M. Jesi, qui, pendant près de deux années, en préparant le dessin de sa gravure, a cent fois passé et repassé les yeux sur cette fresque, comme sur une étoffe dont il aurait compté et recompté chaque fil, M. Jesi ne permettrait pas à Raphaël lui-même, s’il revenait au monde, de nier que ce soit là son œuvre. Vous avez vos raisons pour n’en pas convenir, répondrait-il à Raphaël ; mais cette fresque est bien de vous. E pur si muove !

Quant à nous, sans aller aussi loin, sans nous inscrire d’avance en faux contre toute révélation imprévue qui restituerait ce chef-d’œuvre à un autre que Raphaël, nous n’hésitons pas à affirmer, sans crainte d’être jamais démenti, que ce peintre, quel qu’il fût, appartiendrait nécessairement à l’école ombrienne, serait élève du Pérugin, égal en talent et en savoir à l’auteur de Spozalizio, et que nécessairement aussi il serait mort sans avoir produit une autre œuvre connue que cette