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vieux savant réduit à partager ses derniers jours entre l’office et la compagnie d’un gros chat, suprême consolation de sa solitude. O misère de ce monde et triste regret de se survivre ! Avoir été l’hôte brillant et fêté de la cour d’un grand pape, le commensal chéri des plus illustres familles, l’amant des plus belles et des plus élégantes entre les femmes, et finir en nasillant vigiles dans une stalle d’église où la vocation ne vous a point amené, mais que vous tenez de la munificence d’un chapitre qui vous traite en infirme, en lettré qu’on délaisse et qu’il faut pourvoir ! Parmi les misères de l’écritoire, je n’en sais pas de plus lamentable que cette fin de Pétrarque mourant dans son fauteuil de cuir, au milieu de paperasses, ni plus ni moins qu’un docteur en Sorbonne.

Si l’on vient de visiter les universités d’Allemagne, on trouvera médiocrement amusante la doctorale Padoue avec ses amphithéâtres d’anatomie et ses chaires de droit canon. Ici point d’étudians tapageurs, point d’accoutremens pittoresques, de justaucorps de velours à la coupe du XVIe siècle, de fringans bonnets, verts, rouges, bleus, indiquant au passant qui pourrait négliger de s’en informer l’opinion politique de celui qui les porte. Heidelberg, Halle, Jena, patrie des immortelles Burschenschaften et des pipes d’écume de mer, où êtes-vous ? Sur cette austère Padoue, si quelqu’un règne et gouverne, ô vergogne ! ce n’est pas l’étudiant, mais le féroce Croate, qui se promène, en frisant sa moustache blonde, devant le café où le fils des Muses fume de l’air le plus ennuyé du monde un triste cigare que lui vend la régie autrichienne.

Après une station de quelques heures à Padoue, on remonte en chemin de fer, et presque aussitôt on touche à Vicence, la ville de Palladio. Ici encore des églises et des palais de marbre à chaque coin de rue, mais ce qui vous séduit surtout dans Vicence, c’est le charme de sa situation et la délicieuse contrée servant d’encadrement à tant de chefs-d’œuvre d’architecture. Le ciel était si doux, que, pour en jouir plus librement, nous avions voulu sortir de la ville. Au mois de février, des touffes d’anémones et de violettes fleuries couvraient le sol ; nous étions assis sur le penchant d’une colline plantée d’oliviers et de cyprès, à quelques pas d’un cloître, d’où le regard, après avoir embrassé au loin les Alpes noyées déjà dans les vapeurs du soir, se reposait sur une plaine semée de maisons de campagne ravissantes et sur la ville éparpillée à nos pieds, qui lançait vers le ciel ses sveltes tours. Cette végétation âpre et vivace, ces masses de lierre enroulée ; autour des arbres et des haies, cette atmosphère chaude et comme baignée en plein hiver des hâtives saveurs du renouveau, tout cela produisait sur nos sens une impression charmante, et dont le romantisme semblait s’accroître encore par les mystérieux reflets de l’étoile du soir qui venait de poindre au ciel doucement empourpré. C’était comme un enchantement répandu sur cette magnifique nature, et