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mis la rencontre si mélancolique du jeune roi de Piémont avec le vieux maréchal Radetzky. Le rendez-vous avait été fixé à Vignale, petite localité située à quelques milles de Novare, où le chef de l’armée autrichienne, accompagné d’une suite nombreuse et splendide, attendait depuis quelques instans, lorsque le nouveau roi de Sardaigne parut. Du plus loin qu’il aperçut le maréchal et son escorte, Victor-Emmanuel mit son cheval au galop, et, s’élançant vers Radetzky, l’aborda avec ces propres paroles, dites d’un accent de profonde effusion : « Maréchal, vous voyez devant vous un fils qui n’a plus de père, un roi qui n’a plus de royaume, un général qui n’a plus d’armée ! » Le maréchal serra la main du prince, et tous deux s’embrassèrent cordialement, puis Victor-Emmanuel, Radetzky et le général Hess entrèrent à cheval dans la cour d’une maison voisine où la paix fut négociée. Les trois personnages de cette scène historique s’entretinrent debout au milieu de la cour, tandis qu’autour d’eux une compagnie de sereshans pittoresquement drapés dans leurs capes écarlates formait le cercle. Un officier des hussards de Reuss, le comte Schönfeld, envoyé au-devant de Victor-Emmanuel pour lui annoncer que le maréchal Radetzky l’attendait, nous racontait qu’à peine la conversation engagée, le jeune roi s’écria : « Vous m’avez pris à Mortara six chevaux comme je crains bien qu’il ne m’arrive de ma vie d’en retrouver de pareils, entre autres un bai-brun magnifique, mais qui n’est pas très sûr des jambes de devant ; je vous en avertis pour que vous en préveniez son heureux possesseur. » Quelques minutes plus tard, le jeune roi reconnut un de ces chevaux dans l’escorte du maréchal : c’était l’écuyer de Radetzky qui le montait. À peine Victor-Emmanuel en avait-il fait l’observation, que le maréchal donna ordre qu’il fût rendu au jeune prince.

Ce fut surtout dans les rues de Novare, pendant la confusion de la déroute, que les mauvaises dispositions de l’armée piémontaise envers ses chefs éclatèrent dans toute leur véhémence. Les liens de l’obéissance et de la discipline étaient dissous ; les soldats ne tenaient plus compte des ordres des officiers, ni des paroles du roi, qui vainement se montrait sur les places pour rétablir l’autorité ; il y en eut même d’assez furieux pour menacer du poing leur souverain et diriger contre sa personne le canon de leur fusil. Ce fut après avoir essuyé ces derniers outrages que Charles-Albert s’éloigna nuitamment de la ville. irrité d’avoir payé si cher une défaite, croyant, non sans raison peut-être, qu’il ne devait ce revers qu’aux manœuvres d’une direction inhabile, le soldat s’en prenait à tout ce qui était au-dessus de lui, même au roi, que la grandeur de son infortune aurait dû protéger contre de pareilles insultes. Quelles fautes aussi n’avait-on pas à se reprocher envers ces légions de Savoie et de Piémont si infatigables à réparer leurs brèches ! Dire que ces troupes opéraient sur leur propre