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le savait, et elle a vaincu[1]. » Il faut ajouter à ces nobles paroles ce billet d’un laconisme antique écrit à Mme de Hess une heure après la bataille : « Nous avons battu l’ennemi à Novare, et si la gloire de cette journée me revient, il en a, lui, tout le mérite. » Maintenant voici pour l’autre lieutenant : « Le feld-maréchal-lieutenant Schönhals a été là, comme toujours, cet homme singulier dont le rare génie sait élever à sa suprême puissance le sentiment d’honneur qui anime l’armée. Je lui dois immensément, et ce m’est une grande joie de pouvoir l’exprimer ici de nouveau. » Appréciation non moins ingénieuse que loyale, et par laquelle la diversité d’aptitude des deux généraux confondus dans la gloire du général en chef est on ne peut plus délicatement définie et mise en lumière.

En campagne comme en temps de paix, le maréchal dîne chaque jour au milieu de son état-major, en famille, comme il le dit lui-même. Quiconque arrive à son quartier-général vers quatre heures est sûr d’être retenu à sa table, dont il fait les honneurs de la plus hospitalière et de la plus aimable façon. Convive spirituel, charmant causeur, aimant à voir chacun à l’aise, deux ou trois verres de vieux bourgogne le mettent en belle humeur, et ce sont alors des anecdotes sans nombre, que relève un grain de cette bonne et franche gaieté qui part du cœur. Aussi volontiers qu’il raconte, il écoute, et ne perd pas une occasion de lancer son trait. Je ne sais ; mais, autant que j’en ai pu juger, ce, doit être un naturel excellent, et l’impression qu’il m’a laissée après de si courts instans se confirmait davantage chaque fois qu’il m’arrivait d’interroger des personnes avant vécu dans son intimité. Il y a de ces signes caractéristiques qui ne trompent pas. Que l’esprit de parti s’attache à travestir ignominieusement une figure illustre, que les haines politiques transforment le représentant d’un principe opposé en une sorte d’ogre ridicule, c’est leur affaire, et tant pis pour ceux qui se laissent naïvement prendre aux fantasmagories de cette espèce ; mais quiconque s’en ira voyager dans la simple et ferme intention de connaître les hommes et les choses, quiconque aura vu par lui-même saura à quoi s’en tenir sur tant de belles opinions émises par la plus insigne mauvaise foi, et qu’une niaise crédulité adopte trop souvent sans conteste. Il existait jadis au théâtre un attirail conventionnel dont s’affublait inévitablement tout personnage en contradiction avec les sentimentalités banales du public. Cela consistait d’ordinaire en un haut-de-chausses de velours noir, plus une toque de même étoffe et de même couleur que surmontait une plume rouge. Habit noir et plume rouge, signes distinctifs d’une ame nécessairement perverse

  1. Bericht S. Exc. des f. m. Radetzky über den letzten glorreichen Feldzug gegen den König von Sardinien.