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et vouée d’avance à l’exécration du parterre ! Rien, selon nous, ne rappelle ces grotesques habitudes de l’ancien théâtre français comme ces préjugés auxquels a donné cours une routine non moins stupide. Il semble en effet, grace à tant de propos erronés, multipliés sans cesse, grace à tant de mensongères informations, que le seul nom d’un général autrichien doive fatalement évoquer dans un certain monde l’idée d’une bête féroce cuvant au fond de son antre le sang des Italiens et des Hongrois, d’une sorte de Croquemitaine exterminateur accrochant au gibet tout ce qu’il rencontre. Ici encore il y a le type consacré, le type édité par l’imagination des romanciers de la politique et bénévolement accepté par le vulgaire, qui aime les opinions toutes faites, les héros tout d’une pièce, les caractères sur lesquels il n’y a point à revenir. À ceux-là tous nos enthousiasmes, à ceux-ci tous nos anathèmes ! ainsi le veut la justice, et nous ne l’entendons pas autrement. Aux révolutionnaires la robe virginale, aux gouvernemens la plume rouge et le pourpoint de velours noir ! C’est chose convenue d’avance, et la sentence dérisoire s’exécute impitoyablement jusqu’au jour où l’histoire enfin prononce et vient rendre à César ce qui appartient à César, heure tardive et lente, mais qui, dans la fumée des illusions, emporte aussi les calomnies et ne laisse debout que la vérité.

Ces généraux si indignement décriés, si obstinément proposés à toutes les exécrations du monde, nous les avons rencontrés à Vienne, à Pesth, à Venise, à Vérone ; il nous a été donné de causer avec eux, de les connaître, et, ce qui nous a le plus frappé sur leur visage comme dans leur entretien, ç’a toujours été le calme le plus profond, la plus entière sécurité d’esprit à l’endroit des nécessités souvent terribles par lesquelles ils ont dû passer, et, pour ce qui regarde les colères dont on les poursuit, la plus sereine comme la plus stoïque indifférence. « Que me reproche-t-on ? nous disait l’un d’eux. D’avoir fait mon devoir dans toute sa rigueur ? Mais ignore-t-on que le devoir n’est point une chose dont on écarte à son gré ceci pour en garder cela ? Les événemens commandent, et l’homme obéit. Quant à moi, la responsabilité qui me revient, je l’accepte hardiment devant Dieu et devant les hommes, souhaitant à tous ces braves gens qui me jettent la pierre d’être vis-à-vis de leurs propres consciences aussi tranquilles que je le suis ; ce qui du reste, croyez-le bien, ne m’empêche pas de savoir que je jouis en Europe, et particulièrement chez vous, de la plus immense impopularité. » Quelques-uns cependant, d’une trempe moins robuste, semblent avoir contracté à cette école de la guerre civile une mélancolie dévorante, un incurable ennui de l’existence qui se trahit jusque dans leur sourire. Je n’oublierai jamais l’impression que je ressentis à la vue de l’un de ces nobles officiers. Je l’avais connu autrefois colonel, je le retrouvais maintenant investi des plus hautes fonctions militaires, et